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lundi, 20 juillet 2015

BANDE DESSINÉE : CHARLIE MENSUEL

 Je parlais de la page 1 de la revue Charlie mensuel, celle où se trouve le sommaire de chaque numéro.

N70 LE GRAND GUEDIN'S STUDIO.jpg

Gag rigolo (le gars photographié derrière son trépied demande à la statue de prendre différentes poses pour la photo) signé "Le grand Guedin's studio" (N° 70 : Dingues studio ?). Le témoin a fini par renoncer.

Cette page du sommaire, qui n’est a priori pas faite pour être regardée en elle-même, s’orne en effet d’un dessin (rarement une photo) presque toujours réalisé pour les besoins de la cause (il y a des exceptions : Herriman, Dubout, gravure ancienne, …), autrement dit un dessin où la place du sommaire proprement dit est prévue et ménagée. 

N92 MONIMOTO.jpg

Remarquable dessin d'un nommé Monimoto (N° 92).

On y voit toute sorte de styles, d’imaginations. Ce sont parfois des dessins un peu bâclés, comme si Wolinski avait demandé ce service dans l’urgence à un copain.

N108 MICHELANGELI.jpg

Celui qui donne ces dessins formidables (N° 108) signe Michelangeli.

Parfois, ce sont au contraire des pages très travaillées, presque comme des œuvres à part entière. Le défi, quoi qu’il en soit, est celui que relève constamment tout maquettiste de presse : la liberté règne, quoiqu'avec une contrainte précise, ce qui donne des pages tantôt très aérées (N° 51, un Japonais), tantôt surchargées jusqu'à l'étouffement (N° 60, Carali, je crois, bien qu’il signe Bill). Le tout étant de placer, bien lisible, le programme des réjouissances. Le menu du jour, si vous voulez. On est en plein dans l'art baroque : la déco plutôt que la structure. La volute, plutôt que l'architecture.

N122 GOLO.jpg

Là, c'est le grand Golo (N° 122) des loubards : dessin un peu "sale", bourré de sons et d'onomatopées, qui privilégie l'expressivité.

On trouve des habitués : Willem, qui vous torche en moins de deux sa planche aux cases minuscule, Guitton, l’échappé d’Actuel, éternel baba cool, Nicoulaud, qui dépannait sans doute Wolinski quand il n'y avait personne, Cathy Millet.

N141 MERIAUX.jpg

 

Ce dessin est signé Mériaux (N° 141). Je le trouve intéressant, quoique décoratif.

Pour cette dernière, je me demande si c’est la même que la directrice de la revue Art press. Si c’est elle, elle a aussi pondu La Vie sexuelle de Catherine M., cet éloge de la partouze qui donne autant envie de faire l’amour que les poissons d’Ordralfabétix donnent envie de les manger. 

N148 ALAIN.jpg

 

Ils ont baisé. Je ne suis pas "psy", mais il ne m'étonnerait pas que la femme, à commencer par son sexe, suscite quelque inquiétude chez le Alain (N° 148) qui signe cette planchette.

On trouve aussi, parmi les dessinateurs du sommaire, de parfaits inconnus, des signatures illisibles et même des anonymes. On regrette parfois beaucoup de ne pas savoir qui est là (le joli gag du N° 115, ci-dessous).

N115 ANONYME.jpg

J'aimerais bien savoir à qui on doit ce pot de fleurs qui rate sa cible, et cette page au dessin très léché. Ça ressemble un peu à Honoré, mort lui aussi le 7 janvier 2015.

J’ignore qui est Omez (N° 43). Et puis apparaissent ici et là des noms connus : Barbe (N° 54, voir ici le 15 juillet), Joost Swarte (N° 63, 82) ; Copi (N° 78) ; Veyron (N° 126). Bref, tout se passe comme si Wolinski, l’ordonnateur, se demandait à chaque fois comment il pourrait bien remplir sa page 1.

Ce Charlie-là, sauf erreur, s'est éteint au numéro 152 (septembre 1981, il n'a pas supporté longtemps l'élection de Mitterrand). Georges Dargaud a bien tenté une résurrection en avril 1982, avec Mandryka en "Rédac-chef", mais le cœur (ou l'esprit) n'y était plus.

Wolinski est mort le 7 janvier, à côté de Cabu, Maris et les autres. Une preuve que ce qui reste d'un homme, quand il n'est plus là, c'est bien ce qu'il a fait.

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 18 juillet 2015

DOPAGE ET TOUR DE FRANCE

Je finissais mon billet du 14 juillet sur une citation d’Antoine Vayer à propos du démarrage foudroyant de Christopher Froome dans le Ventoux en 2013 (1028 watts de poussée instantanée). Eh bien bingo ! Le voilà maillot jaune en 2015. Comme quoi la persévérance est payante. Mais il semble qu’il y ait quelque chose de pourri au royaume de la petite reine. Et que l’omerta ne paralyse plus comme autrefois les langues. Les observateurs les plus neutres font désormais la fine bouche. 

Même la grande presse nationale ne joue plus le jeu de l’enthousiasme béat face aux performances toujours plus exaltantes des « forçats de la route ». Pensez, Le Monde et Libération datés 16 juillet s’y mettent. En une du Monde, un appel d’article ainsi rédigé : « Chris Froome sème ses rivaux mais pas la suspicion ». Celle de Libé n’y va pas par quatre chemins, en titrant en très gros : « Le péril jaune » (très subtil, n’est-ce pas ?). 

Le titre du Monde en page 15 est sans ambiguïté : « Froome plombe le Tour ». L’article assez neutre et consensuel, signé Henri Seckel, est doublé par un autre, de Yann Bouchez, beaucoup plus net : « Cachez ces données que seul le maillot jaune saurait voir ». Les deux articles (on s'est réparti le travail) comportent des éléments intéressants, mais c’est d’abord celui-ci qui attire mon attention, bien entendu. 

Car on y apprend l’existence du SRM, « petit capteur placé dans le pédalier du vélo ». Il indique un certain nombre de paramètres, parmi lesquels « fréquence de pédalage, vitesse, pulsations, puissance ». Les données de Christopher Froome, piratées (paraît-il), se sont retrouvées sur les réseaux sociaux, défilant en même temps que la désormais célèbre scène du Ventoux, et révélant « l’infernale fréquence de pédalage, la puissance qui a atteint les 1000 watts au paroxysme de l’accélération et le rythme cardiaque qui reste relativement stable ». C’est bien connu, un bon entraînement permet de maîtriser les battements du cœur : un champion cycliste est forcément un vrai maître yogi. Qui plus est, Froome refuse « de communiquer sa VO² max (consommation maximale d’oxygène), facteur déterminant dans les sports d’endurance ». 

Le succulent de l’affaire est l’attitude de Froome et de son directeur Dave Brailsford : impavide, leur attitude, face à toutes les questions sur les raisons des performances stratosphériques du coureur. Tant qu’il n’y a pas de preuve, on ne saurait l’accuser de quoi que ce soit. Tous deux savent qu’ils ne risquent rien. Ils seraient un rien narquois que ça ne m'étonnerait pas. Façon de dire : « Allez-y mes poussins ! », comme le meurtrier abrité derrière son alibi en béton.

Les petits copains du peloton, quand ils parlent, on peut compter sur leur admiration (et leur silence). Prudence est mère de sûreté : personne ne veut risquer un procès en diffamation. Reste Antoine Vayer (voir 14 juillet), le physicien des performances cyclistes, que Yann Bouchez semble avoir rencontré : « Selon lui, si les informations sur le leader de Sky sont sorties, il ne s’agit pas d’un "piratage", mais d’une "fuite" ». Un vilain jaloux dans l’équipe ? 

Toujours est-il que Christopher Froome, s’il n’a pas « tué le Tour » à La Pierre-Saint-Martin, a écœuré la concurrence : il a cloué sur place ses rivaux : « Mardi, en voyant le leader de l’équipe Sky s’en aller seul, à 6,5 kilomètres du sommet, alors que tous ses concurrents explosaient dans son sillage, on a cru revivre la 15ème étape de l’édition 2013 » (la fameuse étape du Ventoux). 

Les managers de l’équipe Sky ont-ils mis au point la recette miracle du « crime parfait » en matière de sport ? 

Le dossier de Libération sur le même sujet est mi-chèvre-mi-chou. Il ne faudrait pas risquer de tuer le spectacle. Mais attention, Libé : Froome s'est fait huer par une partie du public, le matin du départ de La Pierre-Saint-Martin. 

Si le public aussi s'y met, maintenant .... Aujourd'hui c'est l'égalité : le percheron au croupion superbe (le breton n'est pas mal non plus) peut faire jeu égal avec le cheval de course (le maire de Champignac n'est pas plus lyrique).sport,cyclisme,tour de france,amaury sports organisation,dopage,triche,christopher froome,antoine vayer,maillot jaune,la petite reine,mont ventoux,journal le monde,journal libération,yann bouchez,henri seckel,14 juillet,omerta,capteur srm,dave brailsford,la pierre-saint-martin,équipe skysport,cyclisme,tour de france,amaury sports organisation,dopage,triche,christopher froome,antoine vayer,maillot jaune,la petite reine,mont ventoux,journal le monde,journal libération,yann bouchez,henri seckel,14 juillet,omerta,capteur srm,dave brailsford,la pierre-saint-martin,équipe sky

 

L'égalité, on vous dit : le crack et le bourrin, même combat. Ben non.

Faut-il s'ennuyer dans la vie pour s'intéresser à ce spectacle bidonné !

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 17 juillet 2015

BANDE DESSINÉE : KIKI PICASSO

 FEUILLETON GREC

Dans Le Canard enchaîné du 15 juillet (extraits) :

1

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2 : les détails du plan d' « aide » (!!!) :

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Sans compter la masse des privatisations (les ports, entre autres) exigées dans l'accord. Il est désormais prouvé que le trio Merkel-Schäuble-Gabriel (réédition du trio infernal Bush-Rumsfeld-Cheney de 2003 face à l'Irak), aidé de quelques sous-fifres, a voulu et obtenu d'humilier publiquement, cruellement et spectaculairement Alexis Tsipras, et à travers lui la Grèce tout entière. Je ne suis pas sûr que l'Europe puisse se relever de cet affront.

Elle est pas belle, cette Europe ? Non, vraiment pas belle. Elle obéit tout simplement à une logique folle. Il faudrait l'enfermer, parce qu'elle devient dangereuse.

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BIEN DEGAGE SUR LES OREILLES.jpg

 

 

CHAP1 KIKI PICASSO.jpgLes images que je publie ici avaient paru dans une de ces multiples petites (et éphémères) revues de bandes dessinées (Mormoil, Surprise, Tousse-bourrin, Le Cri qui tue, Le Canard sauvage, Ah!nana, ...) qui foisonnaient dans les années 1970. J’ai nommé Bien Dégagé sur les oreilles. 

Mes excuses aux âmes sensibles.

C’est dans le N°1. J’ignore s’il fut suiviCHAPIRON 5.jpg d’un N°2. Cela nous reporte aux années Bazooka (Production), bien que le groupe ne fût pas encore ainsi baptisé, au moins pour ce que j'en sais. 

CHAPIRON 10.jpgBeaucoup de choses très moches et très mauvaises dans ce numéro sans doute sans lendemain. Malgré leur sujet, ce n'est pas le cas des vignettes que j'ai choisies.

Je ne retiens que les planches réalisées par celui qui se présenteCHAPIRON 12.jpg sous le pseudonyme « Loulou » (Jean-Louis Dupré, « Cronique colonialle »), mais surtout par un nommé « chapi->o » (Christian Chapiron), qui se fera connaître plus tard sous le pseudo « Kiki Picasso », qui réalise ici une suite d’images tout à fait saisissantes. 

CHAPIRON 11.jpgIl faudrait dire « percutantes », puisqu’il intitule la suite « Percutant HIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII … Bang ! », et qu’il la conclut par une vignette indiquant le prix de vente d’une médaille et d’un porte-clés « Saint-Christophe ». 

Ce qui fascine dans cette série de visagesCHAPIRON 14.jpg humains après l’accident et après passage à l’hôpital (quand ce n’est pas sur fond de carrelage blanc), c’est la façon à la fois très neutre et clinique et très violente dont le futur Kiki Picasso restitue l’état de personnes dont la vie a basculé ou pris fin ce jour-là. 

CHAPIRON 16.jpgLe trait de l’artiste, qui s’apparente à l’école de la « ligne claire », pousse la technique jusqu’à ses limites formelles où, symboliquement, la ligne brisée se fait brutale, révélant la fragilité de l’épiderme humain et de tout ce qu’il y a dessous. Ces gribouillis de l'artiste sur le visage de ces gens amochés, j'ignore pourquoi et comment, me parlent. Dans leur genre, ces dessins sont des chefs d'œuvre.

Est-ce morbide ? Possible. Il n’empêche que sur le plan du graphisme, il y a quelque chose qui retient irrésistiblement l’attention. Allez : qui me touche. Ci-dessous, quelques détails de quelques vignettes : je pense à Dubuffet, au moins dans l'esprit.bande dessinée,bazooka productions,bien dégagé sur les oreilles bd,kiki picasso,loulou picasso,olivia clavel,lulu larsen,electric clito,jean rouzaud,jean-louis dupré,christian chapiron,médaille saint-christophe,journal libération,un regard moderne,groupe bazooka,revue mormoil,touss-bourrin,le cri qui tuebande dessinée,bazooka productions,bien dégagé sur les oreilles bd,kiki picasso,loulou picasso,olivia clavel,lulu larsen,electric clito,jean rouzaud,jean-louis dupré,christian chapiron,médaille saint-christophe,journal libération,un regard moderne,groupe bazooka,revue mormoil,touss-bourrin,le cri qui tuebande dessinée,bazooka productions,bien dégagé sur les oreilles bd,kiki picasso,loulou picasso,olivia clavel,lulu larsen,electric clito,jean rouzaud,jean-louis dupré,christian chapiron,médaille saint-christophe,journal libération,un regard moderne,groupe bazooka,revue mormoil,touss-bourrin,le cri qui tue

 

 

 

En 1978, le groupe Bazooka est constitué, et publie, encarté dans le journal Libération, un supplément présenté sous le titre Un Regard moderne, dont j’ai gardé longtemps les six ou sept numéros, et qu’un déménagement a hélas fait disparaître. 

REGARD MODERNE N°1 03 1978.jpg

 

Je laisse aux spécialistes des Beaux-Arts le soin de commenter l’ « apport décisif » que fut le travail de Kiki Picasso et Loulou Picasso (et du groupe Bazooka) dans les pratiques graphiques. Je voulais juste évoquer le choc esthétique (et pas seulement) ressenti à l’époque, face au travail de ce qui fut, en somme, une avant-garde. 

Merci à Kiki Picasso (et, dans une moindre mesure, à Loulou Picasso).

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 16 juillet 2015

BANDE DESSINÉE : GOLO & FRANK

FEUILLETON GREC

L'Europe institutionnelle, l'Europe des Traités est, face à la Grèce, en train de faire du plagiat. Le trio allemand Schäuble-Gabriel-Merkel, la folie guerrière en moins (quoique ...), est une réplique du trio néo-conservateur de sinistre mémoire, Bush-Cheney-Rumsfeld (n'oublions pas Wolfowitz), à qui nous devons le chaos actuel au moyen Orient. Il est à craindre que la folie bureaucratique de Schäuble-Gabriel-Merkel aboutisse, en Grèce et en Europe, au même genre d'instabilité généralisée, avec tous les risques que cela comporte. Même l'ultralibéral FMI supplie les instances européennes d'annuler une partie de la dette grecque, c'est dire ! C'est au trio allemand que nous devrons les conséquences de ce fanatisme. Apprêtons-nous à dire : « Merci pour tout ! ». Je voudrais savoir en quoi la privatisation à tout va des biens publics grecs doit être considérée comme LE remède miracle.

Ne pas oublier que la marque Merkel fabrique des fusils de chasse.

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En peinture, en musique, on dira la même chose : à côté des Everest qui ont nom Rembrandt ou Delacroix, il y a, par exemple, le sympathique Monticelli, le peintre marseillais. Dans la bande dessinée, et je regrette qu’ils n’aient pas davantage produit, j’ai un penchant pour un tandem qui a fait parler de lui dans les années 1980 : celui qui tient le crayon s’appelle Golo, la plume est tenue par Frank. 

Pour la couleur du récit, on reste résolument dans le noir, le crade. Peu de chose permet de différencier le voyou du flic. Tout se passe entre les appétits de pouvoir et d’argent et les bas-fonds plus ou moins glauques (Brassens dirait « interlopes », quoiqu’il chante : « … et non dans un chou, comme ces gens plus ou moins louches »). Il y a des prolos, des arabes, des putes, des travestis, des mauvais garçons, des drogués, bref : une faune peu reluisante. 

Pour le dessin, le trait ressemble au contenu : il est sale à souhait, bien qu’il faille le rattacher à l’école de la ligne claire. Les contrastes sont accusés. Les traits des personnages sont découpés à la hache, au risque parfois de tomber dans la caricature des caractérologies de l’ancien temps, vous savez, Louis XVI décrit comme NENAS, traduction « Non Emotif, Non Actif, Secondaire », et toutes les salades du même acabit. 

Par exemple, l’un des deux tueurs, dans Les Noces d’argot, un gras chauve balourd, s’il est doté d’un psychisme rudimentaire, ça ne l’empêche pas d’être un vrai méchant, même s’il se trouve sous la coupe du petit teigneux qui mène la chasse. Il y a aussi des allumés prêts à tout pour obéir au chef de je ne sais plus quelle Eglise universelle, mais qui se font dégommer par les précédents. Il y a aussi un bâton sur lequel est gravée une formule secrète : « Aura clausa patent » (L’or ouvre ce qui est fermé). L’histoire avait commencé à paraître dans Charlie mensuel. 

Mais que Golo et Frank me pardonnent : ma préférence ne va pas aux trois épisodes des Noces d’argot (Dargaud éditeur, that’s a joke ?). Ils n’avaient qu’à ne pas commettre deux chefs d’œuvre : Ballades pour un voyou (1983) et La Variante du dragon (1989, d’abord publié dans la revue A Suivre). 

Le premier raconte une arnaque à l’assurance, montée par Jeannot (qui sort de taule) et sa petite bande. L’idée qui rend le livre mémorable a été de truffer le récit d’évocations de chansons populaires qui parlent de la débine, des voyous, de la prostitution, de la révolte, de l’amour, etc. Le scénario se paie le luxe de rester à l’arrière-plan. L’avant-scène est occupé par les personnages, je devrais dire les « figures », voire les trognes, les trombines, les caractères, tous typés de façon presque brutale. 

Trois camps s’affrontent, dont deux sont liés : la bande de blousons noirs aux insignes nazis qui tient les murs du café « Chez Riton », à qui il arrive de « travailler » pour Frankel, un juif antipathique dont la vitrine – le restaurant « Mittel Europa » – dissimule des affaires louches. Il « mouche à la pèlerine », c’est-à-dire qu’il est « protégé » par la commissaire Castagne, Marie-Aurore de son prénom. Drôle de couple, qui se livre à l’occasion à des jeux sado-maso, où la commissaire tient le fouet. Et elle chante la Marseillaise au moment où son doigt déclenche l’orgasme. 

GOLO6.jpg

Boris, le yiddish, quand il se fâche vraiment.

Face à la bande de loubards et aux flics « ripoux », la bande de copains réunie autour de Jeannot. Il y a sa copine Babet, Vlad, qui trouve le coup à faire, et puis surtout, il y a Boris, juif de même origine que Frankel, qu’il fait chanter à l’occasion, parce qu’il en sait long sur lui. Il vous taille un faux diamant plus vrai que le vrai. Et il a la rancune aussi tenace que le culot. Ce personnage est la vraie trouvaille de ce récit, qui finit par une petite scène de guerre urbaine, où Boris tire sur les flics, avant de se jeter du toit de l’immeuble. 

GOLO VARIANTE.jpgL’idée géniale qui dirige l’action dans La Variante du dragon (qui fait allusion à la « défense sicilienne », pour les connaisseurs) est d'organiser le récit sur le modèle d'une partie d'échecs. Pas n’importe laquelle : celle disputée au 16ème siècle par un certain Paolo Boï, qui a, paraît-il, gagné pas mal d’argent grâce à sa maîtrise du jeu d’échecs. Une partie où il aurait joué, dit-on, contre le diable, à cause d’un coup incompréhensible, qui donne la victoire à celui qui se croyait vaincu. 

Sainte-Croix est la tête pensante et le financier d’un vaste réseau de trafic d’héroïne. A son service, le commissaire Sissa est l’ordonnateur exécutif de la chose. D’autres personnages importants gravitent autour de ces deux-là : Won Ton Charlie, qui représente les fournisseurs de came, Andréani, Catherine, Chérif, Bigaille, Tonton et Tonton, Fianchetto. A GOLO4.jpgnoter que Golo a donné à Sainte-Croix la belle gueule de crapaud difforme de Jean-Paul Sartre, quand il finissait sa vie en grenouille tombée accidentellement du bénitier. De tels détails réjouissent le cœur de l'homme. 

Tous ces jolis cocos ont un gros souci : un petit malin s’est glissé dans le réseau et détourne à son profit toute la came, et le pognon qui va avec. Ce petit malin s’appelle Vétiver, parce qu’il a l’habitude de se parfumer à cette essence : « … un mec qui se fait des couilles en or … avec une idée, mais brillante ! ». 

Là-dessus, quinze ans après avoir quitté la place, débarque son ancienne connaissance, Evereste Puig, qui a purgé quelque part une peine dans un bagne pour on ne saura trop quelle raison, et qui a besoin de se refaire une santé. L’avantage, c’est qu’il y est devenu redoutable aux échecs. Malheureusement, il va tomber raide dingue amoureux de Catherine, face à qui il a été obligé de coucher son roi. 

Entre la drogue et les drogués, l’histoire navigue violemment d’un meurtre à l’autre, au rythme où pions et pièces se font prendre au cours de la partie. Tout est crade et impitoyable dans ce chaudron. L’histoire finit dans un bain de mort, où les moins mauvais s’en sortent. 

C'est presque une morale. Pas tout à fait quand même. 

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 15 juillet 2015

BANDE DESSINÉE : LE CAS BARBE

BARBE 1.jpg

J’aurais bien vu André Barbe en nouveau Walt Disney. Mais attention : un Walt Disney pour adulte, et pas un moraliste calviniste, puritain, et coincé dans la bulle des grands principes binaires, si chère au manichéen George W. Bush. Pourquoi n’a-t-il pas fait de dessins animés, des vrais à vingt-quatre images / seconde ? 

BARBE 3.jpg

 

Bon, il s’est contenté de faire de la bande dessinée. On ne va pas lui reprocher de faire ce qu’il a fait, maintenant qu’il est mort (en 2014). Parce que ce qu'il a fait atteint la perfection dans son genre. Son style, ainsi que les ouvrages qui sont sortis de son crayon, est immédiatement reconnaissable : un trait voluptueux d’une part, et d’autre part une disposition verticale des bandes, comme si le lecteur visionnait la pellicule d’un film image par image, mais en passant plus vite : il y a de l'ellipse, dans la torridité des images fabriquées par André Barbe. 

BARBE 7.jpg

Pour le confesseur (en deux mots ?), la bande retrace impeccablement la trajectoire de son imaginaire : des seins, il est si facile de passer aux fesses. Mais finalement, il se contentera de la bouche. On a compris, Barbe, tu es anticlérical.

Le trait épicurien qu’il déroule en arabesques infatigables, c’est, on l’a sans doute deviné au vu des illustrations, pour le corps féminin. Barbe éprouve un amour inextinguible pour les formes féminines, qui ont le pouvoir particulier (et légèrement pervers, bien entendu) de, tout à la fois, combler et frustrer le spectateur. Barbe rêve de sentir entre ses mains un tel corps. Alors il se dessine en train de le tenir d'une main et de le dessiner de l'autre (ci-dessous). Magie du trait : pour le coup, la formule n’est pas usurpée. Mais plaisir, sans doute, de masturbateur, car s'il tient la femme, elle demeure absente. La magie du trait, c'est précisément ça : matérialiser le fantasme.

BARBE 13.jpg

Le corps de la femme n’apparaît en entier, superbement rendu évidemment, que de temps en temps, aussitôt disparu dans le grossissement soudain d’un détail, qui se transforme bientôt à son tour. Barbe n’aurait jamais pu être cinéaste : il prend trop de liberté avec le réel. Il a fait sienne la devise du scientifique : « Tout se transforme ». Je ne vois donc que le dessin animé. Ses Strips et autres Cinémas ne sont rien d'autre que du dessin animé servi sur planche.

BARBE 12 1.jpg

Planche I.

Ce que Barbe voit, il ne le voit jamais longtemps, juste le temps de s'électriser. Perdre de vue avant de voir surgir. Le désir est par essence mouvement : ce buisson est à peine devenu un pubis fourni encadré par deux cuisses ouvertes qu’on voit apparaître les collines de deux fesses dans le creux desquelles apparaît un guerrier à cheval (ou qui que ce soit d’autre), et puis voilà (pouf, pschitt, hokus pokus, abracadabra) que déboule dans le paysage une paire de seins du meilleur aloi. Pas le temps de toucher : le corps féminin s’est évanoui dans le décor. 

BARBE 12.jpg

Planche II.

Voilà, fascinantes et charnelles jusqu’au pulpeux, les héroïnes de Barbe vous attirent et disparaissent. Ce sont des allumeuses. La BD de Barbe exacerbe un désir masculin toujours renouvelé et jamais satisfait. L’auteur a tout compris de ce pouvoir millénaire, indéracinable. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas une BD féministe, mais une BD célébrant (gare au stéréotype) l’ « éternel féminin », tel qu’il surnage encore, on ne sait trop comment ni pourquoi, dans les rêves des hommes. J'espère.

Barbe est peut-être un obsédé, mais il sait poser des formes splendides sur ses obsessions. Ce qu'on appelle le grand art.

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 05 juillet 2015

CABU ET L'EDUCATION SEXUELLE

A propos de la Grèce, on peut écouter l'entretien qu'Arnaud Leparmentier a eu avec Thomas Piketty, qu'on trouve sur lemonde.fr. 

Et ICI (durée 25'35", - augmentée de la publicité très niaise, mais ceci est un pléonasme, même s'agissant des pubs les plus subtiles ou les plus tordues).

Bien que Leparmentier soit horripilant, à sans arrêt couper la parole à l'invité. Tous ces gens qui veulent montrer qui est le chef sont pathétiques.

Piketty se livre à une démonstration éclatante de l'aveuglement dogmatique des institutions économiques (FMI), des institutions financières et des institutions politiques européennes à commencer par l'éléphant Merkel dans le magasin de porcelaine. 

Et Piketty fait des propositions qui ont au moins l'apparence du bon sens. Comme il le dit, les responsables européens, en même temps qu'ils incarnent un massif déni de démocratie, sont des apprentis sorciers, qui prennent le risque de faire couler tout le navire européen.

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On trouve cette planche dans Charlie mensuel, avril 1975.

CATH1.jpg

 

Deux filles qui se papouillent le museau, une religieuse "enseignant" les choses du sexe : une synthèse de l'époque, en quelque sorte.

CATH2.jpg

On sent combien toute la délicieuse poésie lyrique et les élans mystiques du sentiment amoureux jaillissent du cours d'éducation sexuelle. Vous aurez noté la goutte à la lippe inférieure de Catherine.

CATH3.jpg

samedi, 04 juillet 2015

LA SERVITUDE HEUREUSE

2/2 

BEAUVOIS ET JOULE.jpgDe telles expériences, en psychologie sociale, sont multiples et variées : tout y passe, de l’acceptation d’un panneau publicitaire dans le jardin pour vanter les économies d’énergie (rôle de l’autocollant qu’on a accepté ou non d’apposer auparavant sur sa fenêtre), jusqu’au ver de terre que, au terme d’un cheminement beaucoup plus tortueux, on a accepté ou non de bouffer (authentique, évidemment, sans ça ce ne serait pas drôle). 

Enfin bref, les expériences (en "double aveugle", s’il vous plaît, conformément aux méthodes de la science) se suivent, mettant en application les recettes de l’ « amorçage » et du « pied-dans-la-porte », et se ressemblent quant au résultat : ça marche dans la plupart des cas. L’amorçage repose sur la recette bien connue de la « promesse non tenue », base entre autres de la publicité mensongère (en l'occurrence de l'escroquerie) : vous aurez un rabais de 25 % sur x, y ou z, et à l’arrivée, vous n’avez plus que 5 %. Que se passe-t-il ? Eh bien, dans beaucoup de cas, c'est prouvé, vous persévérez. 

Même chose pour le pied-dans-la-porte (l’histoire de l’autocollant écologique ci-dessus, par exemple) où, pour ne pas désavouer le geste tout à fait anodin qu’on a obtenu de vous précédemment, vous acceptez de faire le pas suivant, beaucoup plus lourd de conséquences, qu’on vous demande de faire à présent : la première décision entraîne la deuxième. Vous vous êtes, comme dit la théorie, « engagé ». Et il y a peu de chances que vous reveniez en arrière.

Cette persistance a été baptisée « persévérer dans la décision ». Et cette persévération est absolument redoutable, car elle peut mener à des catastrophes, par exemple quand il s’agit d’un trader qui a pris une décision dans une mauvaise direction : il a tendance, toujours pour ne pas se désavouer lui-même (ni risquer de passer pour un charlot), à « rester droit dans ses bottes », quitte à se casser la figure (on pense à Kerviel). 

Devinez pourquoi aucun homme politique français ne démissionne jamais : il persévère, pour ne pas se déculotter en public. « Errare humanum est, perseverare diabolicum ». Très difficile pour un politicien français de reconnaître qu’il s’est trompé ou qu’il a failli. Ailleurs on n’a pas de ces lâchetés et de ces hontes. Les samouraïs faisaient seppuku, car ils tenaient à leur honneur (on disait : "pour restaurer leur harmonie perdue"). Et responsables anglais ou allemands démissionnent sans en faire tout un plat. Parfois avec élégance, voire panache. Et la démission n'est pas un suicide, que je sache.

Alors on peut rêver, comme les auteurs, à une humanité idéale, où la connaissance et la maîtrise de ce pouvoir d’orienter autrui dans une direction voulue par une instance (gourou, secte, entreprise, …), ne seraient utilisées qu’orientées vers des buts louables et désirables, pleins d’humanisme et de souci du Bien. Un gros tas de chouettes copains, quoi. Tous frères. On sait ce qu’il en est en réalité. En somme, cette « naïveté » est un gros mensonge : l'humanité est capable du pire, et il y a fort à parier que Beauvois et Joule le savent. Pourquoi veulent-ils à toute force rester honorables et respectables ? Un peu de courage conceptuel, que diable ! 

Dans un passage drôle et intéressant du livre, qui peut servir aux parents perplexes, les auteurs racontent comment un père a le plus de chances d’obtenir de son fils d’une dizaine d’années qu’il range enfin sa chambre. Je passe sur les détails. Le résultat de l’expérience montre que plus la sanction (récompense ou punition) est grande, plus la volonté de ranger sa chambre sera comme un feu de paille dans l’esprit du gamin. Il faudra tout recommencer dès demain. DINGO 1.jpg

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Papa a tout faux.

Tiré des Dingodossiers, de Goscinny et Gotlib. Mais, à leur décharge, ils n'avaient pas lu Petit traité de manipulation ...

 

Toute la difficulté de la chose est d’amener le garçon (Léo, je crois me souvenir) à se convaincre que le besoin de ranger sa chambre émane de lui-même : plus la sanction (récompense ou punition) est faible, plus le rangement de la chambre semblera découler de son libre-arbitre, et plus il aura tendance à reproduire plus tard, « librement », le comportement attendu.

Dit comme ça, ça paraît évident et simple, reste à le mettre en pratique. Avis aux amateurs parents. Ceux qui y réussissent peuvent passer le concours de manipulateur mental diplômé : à faible enjeu, forte impression de liberté, d'où forte persistance du comportement, c'est la règle. 

Il se passe d’ailleurs la même chose dans des expériences avec de jeunes adultes : moins la participation est rémunérée, plus le comportement obtenu au cours de l’expérience sera durable et intériorisé. On appelle ce « réflexe » une opération de « surjustification ». Cela semble être une loi qui gouverne le fonctionnement psychologique de l'individu : plus il agit sans attendre aucune reconnaissance, plus le sentiment de liberté est intense, et plus le comportement s’installe dans la durée. 

C’est une véritable trouvaille, en même temps que, si l'on veut, un enfonçage de porte ouverte. Une nouvelle manière (concrète) d’envisager la liberté humaine, dans une société de masse, où l’individu pèse d’un poids presque proportionnel (c'est-à-dire infime) au nombre d’existences parmi lesquelles s’inscrit la sienne. Je dis « presque » à cause des hiérarchies induites par les spécialisations et les qualifications professionnelles : plus on est riche et puissant, plus on est libre. A cet égard, certains sont infiniment libres.

Je ne dis pas que Beauvois et Joule ont commis un chef d’œuvre. Simplement que leur Petit traité de manipulation ..., même avec les défauts que j’ai signalés, constitue une excellente introduction aux méthodes qui permettent à tous les pouvoirs des pays dits démocratiques de « gérer » des populations trop nombreuses, tout en les persuadant qu’elles vivent dans des régimes où règne la liberté individuelle. 

Le fonctionnement actuel de l'Europe montre un magnifique exemple de ce despotisme masqué, où le légal évince en toute impunité le légitime : même si la Grèce n'est pas toute blanche, tant qu'elle n'aura pas plongé le nez dans la poussière et crié grâce, l'Europe légale, l'Europe des Traités, cette Europe "démocratique", qui s'est faite sans et contre les peuples, restera intraitable, inflexible, implacable.

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Tout le monde a reconnu la ravissante Angela Merkel.

Une liberté étroitement contrôlée. Même si les populations en question se montrent rétives, à l'occasion (Grecs, « Indignados » ...). 

Et puis, au bout du compte, tout ça est une bonne leçon au sujet des sciences dites humaines. Vous connaissez le raisonnement : une technique n'est ni bonne, ni mauvaise en soi. Tout dépend de l'usage qui en est fait. Eh bien je vais vous dire, l'usage qui en est fait, il est toujours aussi bon ET aussi mauvais que possible. Le bon côté étant dans le mérite que recèle toute augmentation des connaissances. Le mauvais étant celui qui triomphe concrètement.

L'exemple de la psychologie sociale (qui ajoute les dégâts de la sociologie à ceux de la psychologie) montre clairement quel usage est fait des sciences dites humaines, grâce à tous les outils de gouvernement que les pouvoirs (politique, économique, ...) en tirent pour assujettir plus sûrement et plus fortement leurs sujets. 

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 02 juillet 2015

CABU AVAIT TOUT COMPRIS

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Je ne suis pourtant pas lecteur de cette revue (ci-dessus n° du 4 au 10 juin 2015), mais j'ai trouvé qu'en l'occurrence, cette couverture ne pouvait pas mieux tomber ! 

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PARU DANS CHARLIE MENSUEL, EN SEPTEMBRE 1975.

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Cabu avait tout prévu l'évolution policière de notre société.

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C'est vrai, ça : il n'est plus permis de se moquer de personne.

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Catherine a la santé. C'est le gaucho, ici, qui est malade.

Et facho.

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Et c'est le barbu gauchiste de Cabu qui a fait le  lit de notre société policière.

Je ne vois pas, ici, de désaccord entre Cabu et Michel Houellebecq, même s'ils ne s'aimaient pas beaucoup. Drôle de retournement, non ?

Quand Cabu écrivait, en 1975, "on ne doit pas se moquer de ...", il ne savait pas qu'il écrivait notre histoire, aujourd'hui quotidienne et muselée.

C'était déjà ça, la gauche. Aujourd'hui, on sait : c'est eux qui l'ont, le pouvoir.

"Cause toujours", ou "Ferme ta gueule", finalement, ça revient au même.

A signaler le régime liberticide qui est en train de s'installer en Espagne.

La vertu est au bout du fusil.

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samedi, 20 juin 2015

JE PENSE À CABU

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Je donne ici quelques illustrations tirées de cette revue imprimée en 1975 (elle coûtait 12 francs, je l’ai vue à 19 € sur un site de livres d’occasion). On y apprend par exemple la raison de l'antimilitarisme viscéral de Cabu (il a quand même passé 27 mois en Algérie, de quoi expliquer). 

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On y voit un Reiser gentiment moqueur de ce grand dadais de Duduche qui éprouve éternellement des sentiments pour la fille du proviseur (mais qui plonge l’œil dans son décolleté (bien qu'elle soit en « col Claudine » !) sur le dessin de couverture, voir ci-dessus). 

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On y retrouve aussi et surtout l'énorme canular que Cabu avait monté avec une bande de potes dans sa ville natale de Châlons-sur-Marne, à l’occasion de « l’épreuve sportive la plus bête du monde » (Strasbourg-Paris à la marche), qui passait par là chaque année au mois de juin. C'était en 1959.

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La fine équipe, tous déguisés, se pointe dans les rues deux heures avant le premier marcheur, « à l’heure de la sortie de la messe ». Ils font même une caravane publicitaire ornée d’affiches « prêtées par une copine pharmacienne » (dragées Fuca, maigrir). Cabu est à vélo. Le N° du dossard de Gros Schmitt (ODÉ-84-00, on est en 1959) est celui de l'horloge parlante.

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Le « marcheur », le « concurrent » s’appelle donc Gros-Schmitt (117 kg). On le fait passer pour Gilbert Roger, le champion de l’épreuve à l’époque. Je cite Cabu : « Régulièrement, Gros Schmitt s’effondre, et on le remonte avec un cric ! Les gens ne sont pas étonnés : pour eux, il a déjà fait 330 kilomètres … ». Cette histoire de cric !!! Les gens qui ne se doutent de rien !!! En plus, ils se font offrir le champagne en s'arrêtant devant un bistrot. Certains trouvent le champion plus gros que l'année précédente : « Oui, mais il a deux heures d'avance », répond quelqu'un.

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Le changement de trombine du bistrotier entre les deux dessins !...

Gros Schmitt demande « un bain de pieds à une petite vieille », si possible avec des pétales de roses trémières, ou a défaut du caca de chat, « si vous en avez ». Et Cabu conclut : « Ce jour-là, j’ai compris qu’on pouvait aller très loin pour mystifier les gens … ». 

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Un canular à connotation rabelaisienne : voir les farces pendables que Panurge fait subir aux Parisiens (le guet, par exemple) et aux Parisiennes (on trouve ça dans Pantagruel).

Mais on peut penser aussi aux énormes canulars imaginés par Jules Romains dans Les Copains, où un faux curé prononce en chaire un sermon gratiné qui heurte les chastes oreilles des paroissiennes, tout en leur suggérant des idées (Ambert), et où un faux Vercingétorix a pris la place de la statue (en étalant ses superbes attributs sur le bronze du cheval), puis bombarde les officiels et la population d'injures et de légumes (Issoire).

Merci, Cabu, de nous avoir fait partager de pareils moments. 

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 12 juin 2015

HONORÉ SOIT DEBUSSY 1

1/2

Parmi les risques que la « société moderne » fait courir aux hommes, il en est un, non négligeable, encouru spécialement par l’amateur de musique en général, d’opéra en particulier. Il faut accepter de vivre dangereusement. Ce risque s'appelle « le metteur en scène ». 

Bien que le si distingué Renaud Machart, dans un article de 2008 (mercredi 27 août) pour Le Monde, montre son dédain pour l’idée (« …on ne compte plus les articles ayant dénoncé la "dictature" présumée du metteur en scène. »), il faut bien dire que les exemples ne manquent pas de spectacles bousillés, massacrés, assassinés par le décret d’un homme à qui on a donné le pouvoir de tenir sur l’œuvre représentée un discours où il peut enfin lâcher la bride à ses lubies les plus invraisemblables. 

Banalité de dire que l'opéra est un spectacle total, et que la jouissance du spectateur découle (ou non) du rapport entre ce qu'il voit et de qu'il entend. Qu'en advient-il quand, par exemple, dans Carmen, il voit, au lieu de la fabrique de cigare et de la caserne des dragons (d'Alcala) attendues, d'un côté un bordel, de l'autre un commissariat de police ? Eh bien c'est simple, il se demande si le concepteur n'a pas « le couvercle de la lessiveuse complètement fêlé ». Il voudrait suggérer que Carmen est moins une femme éprise de liberté qu'une simple pute qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Avis aux féministes.

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Maurice Tillieux, Libellule s'évade.

De gauche à droite : Libellule, Gil Jourdan, Inspecteur Crouton.

Renaud Machart, dans son article, envoie bouler d'une pichenette condescendante le livre de Philippe Beaussant (qualifié de "pamphlet", ce qu'il est à moitié), La Malscène (2005), qui s'en prend à la toute-puissance capricieuse du M.E.S. dans les maisons d'opéra. C'est vrai que le bouquin n'est pas très bon, et n'évite pas balourdises et truismes. Certes, l'auteur dit sa colère, mais il ne va pas au bout de son ire : « Je ne citerai aucun nom : ni de metteurs en scène, ni d'interprètes, ni de chefs d'orchestre » (p. 20). Pusillanimité tout à fait regrettable, derrière le paravent d'un prétexte fallacieux (l'ennui). Il n'empêche que c'est un vrai sujet (de mécontentement).

Je veux bien que monsieur M.E.S. se soit fait sa petite idée sur la signification profonde du Chevalier à la rose, mais pourquoi met-il une mitraillette dans les mains d’un des chanteurs au troisième acte ? Et dans Cosi fan tutte, est-il bien nécessaire, au lever de rideau, cet immense bar américain, avec ses tabourets surélevés ? Et Dorabella et Fiordiligi en mini-bikinis, sur une plage, accrochées à leur téléphone portable ? Et l’Austin-Healey poussée sur la scène à je ne sais plus quel moment ? 

Le si prudent Philippe Beaussant évoque quelques cas particulièrement gratinés : « Hercule en treillis », Jules César « entouré de SS en casaque noire », Orphée (de Gluck) « costumé en clown, avec sa balle rouge sur le nez et les sourcils circonflexes », Siegfried « en salopette sur un terrain vague, devant sa caravane crasseuse, son fauteuil au bras cassé et sa bassine sale », Don Giovanni sautant Donna Anna à en faire péter les ressorts du sommier (contresens, puisque, selon la dame elle-même, le violeur potentiel n'a pas "consommé", au très grand soulagement de Don Ottavio : « Ohimé, respiro »). Beaussant est peut-être en colère, mais qu'est-ce qu'il est gentil ! Ou alors il a mis du bromure dans sa testostérone ! J'ai envie de crier : vas-y ! ose ! des noms ! des noms !

Il parle pourtant très juste : « On me dépouille de ce que j'aime. On me le casse. Non seulement on me le vole (Orfeo, c'est à moi, Les Noces, c'est à moi, c'est à moi, Pelléas, c'est à moi ; exactement comme c'est à chacun de vous), mais sous mes yeux on le disloque, exprès ; on l'abîme, pour me faire mal  ». Il se laisse pourtant déposséder sans se venger : quelle grandeur d'âme ! Vrai seigneur ou bien, plus simplement, gros matou qui s'est châtré les griffes (comme un Don Ottavio de la critique) ? 

Vous dites ? C’est de l’ « actualisation » ? De la « modernisation » ? Il faut « dépoussiérer » ? Ah bon. S’il faut actualiser … Moi j’appellerais plutôt ça la prétention de quelqu’un qui « tient un discours », voire qui prêche son prône du haut de sa chaire, sur une œuvre si possible célébrissime,  sur laquelle il a tout loisir de poser enfin sa patte et pouvoir dire ce que cette œuvre lui suggère, sans se demander, d’une part, ce qu’elle porte en elle-même et, d’autre part, si son imaginaire ne va pas à l’encontre du mien. Qu'il me l'impose, cela devient du sadisme.

Mais voilà : je ne suis pas masochiste.

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 03 juin 2015

UN COUP DE CHAPEAU

Aujourd’hui, cessons un moment de « faire suer le burn-out ». Offrons-nous un moment de détente, avec Aristide Bruant. (cliquez pour entendre). Je trouve cette chanson délicieusement cynique.BRUANT JAUNE.jpg

 

1.

Hier, c'était l'enterrement
De ma pauvre belle-maman.
Un' femm' qu'avait tout's les vertus;
Hélas, nous ne la reverrons plus !
Comm' ell' avait plus d'soixant' ans,
On attendait ça d'puis longtemps;
L'matin, on est v'nu la chercher
Et puis en rout', fouette cocher !…
Le vent soufflait je ne sais d'où,
Trou la la itou (bis);
Le soleil dorait l'horizon
Et zon, zon, zon.
Nous marchions d'un air décidé,
Gai, gai, gai la rira don dé
Et nous marchions tous comm' ça.
Larifla, fla, fla.

 

2.
BRUANT FOU.jpgPrès de moi dans les premiers rangs
S'avançaient les proches parents;
Sous la douleur se laissant choir
Et pleurant tous dans leurs mouchoirs.
Soudain, l'un d'eux s'approche de moi
Et me dit d'un ton plein d'émoi :
« Vraiment, du ciel nous sommes maudits ! »
Tout en pleurant, j'lui répondis :
« Oui, monsieur, je suis comme un fou.
Trou la la itou (bis);
Ça fait un vide à la maison
Et zon, zon, zon.
De pleurs je suis tout inondé,
Gai, gai, gai la rira don dé. »
Et nous pleurions tous comm' ça.
Larifla, fla, fla.

 

3.BRUANT ZIZI.jpg
Il commençait à se faire tard
Quand t'nous arrivâmes à Clamart
Nous entrions quéque temps après
Dans un jardin planté de cyprès.
Les hommes pleuraient en sanglotant,
Les femmes sanglotaient en pleurant.
Gendres, neveux, cousins, p'tits-fils
Entonnaient le De Profondis.
Comme on la descendait dans le
Trou la la itou (bis);
Chacun disait une oraison
Et zon, zon, zon.
En criant comme un possédé,
Gai, gai, gai la rira don dé;
Et nous chantions tous comm' ça.
Larifla, fla, fla.

 

BRUANT DES ROSEAUX.jpg4.
A la sortie, v'là qu'les parents
Prennent d'assaut les restaurants,
Pour se consoler un p'tit brin,
On fit v'nir cinquant' litr's de vin.
Quand t'les cinquant'litres fur'nt bus,
On en fit rev'nir encore plus.
Si bien qu'au moment d'se quitter,
I y avait pus moyen d's'acquitter.
Tout le monde avait bu comme un
Trou la la itou (bis);
On avait son petit pompon
Et zon, zon, zon.
Quand t'votr' crampon s'ra décédé,
Gai, gai, gai la rira don dé;
Faudra l'enterrer comm' ça,
Larifla, fla, fla.

 

Note : Tous les zoziaux appartiennent évidemment à la famille, plus nombreuse qu'on ne croit, des « bruants » : « jaune », « fou », « zizi » et « des roseaux ». Et en prime, le sapeur Camember est heureux de vous chanter sa romance : « Petits voiseaux ».

PETITS VOIZEAUX.jpg

 

dimanche, 31 mai 2015

DÉPECER LA GRÈCE

D’abord quelques chiffres : 2010, la dette extérieure de la Grèce se monte à 110 % de son PIB ; cinq ans après, elle se monte à 180 %. Si vous comprenez, merci de m’expliquer. Apparemment la Grèce, non seulement n'a pas remboursé un centime à ses créanciers, mais elle a continué à acheter à tout va. Comme le dit quelqu'un : « Ils sont fous ! ».

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Que s’est-il passé ? Oh, pas grand-chose : des gens très bien intentionnés ont prêté de l’argent à la Grèce, mais surtout sans se poser trop de questions sur l'éventuelle solvabilité du client. Par exemple, sous Papandréou arrivé en toute fin de mandat, pour acheter des avions F16, mais sans moteurs ni systèmes de mesures, charge aux dirigeants suivants de compléter la commande à Lockheed-Martin pour les faire voler. En empruntant encore. Et ne parlons pas des sous-marins qui penchent.

Quelques autres chiffres amusants : les banques prêtent à la Grèce (à 4,5 % ou +), mais aussi à la France (à 1,5 %), de l’argent qu’elles empruntent à la BCE (à 0,05 %). Ce qui veut dire qu'elles s'engraissent sans aucune nécessité, et avec le consentement des Etats et de l'Europe. Question : pourquoi les pays n’empruntent-ils pas directement à la BCE ? 

Sur la base de ces quelques informations, on peut se demander ce qui se passe. Sans être en quoi que ce soit versé dans la finance internationale, je comprends une chose très simple, qui se voit comme le nez : les pays européens, dans un consensus général, acceptent de se faire racketter, aux frais des contribuables, par les mafias bancaires. 

Il me semble que c’est Giscard qui avait inauguré ce truc fabuleux, dans les années 1970 : interdire à l’Etat d’emprunter à 0 % à la Banque de France, pour l’obliger à emprunter à des taux « intéressants » aux banques privées. Intéressants pour qui, les taux ? Peut-être voulait-il favoriser l’emploi dans ces établissements ? 

Je ne connais pas dans les détails le dossier grec. J’ignore dans quelle mesure les élites politiques du pays se sont rendues complices des grands argentiers internationaux. Ce que je sais, c’est que, dans un but qui me reste obscur – et même incompréhensible –, des dirigeants politiques de haut vol ont prêté la main à des financiers d’élite pour faire en sorte que la Grèce ne puisse en aucun cas s’en sortir. 

Il est même arrivé qu'on lui prête à des taux usuraires pour rembourser une dette précédente. Sans parler des conditions d' « ajustements structurels » (du genre diminutions des salaires et des pensions de retraite, privatisations d'entreprises publiques, etc.).

C'est sûr que les Grecs souffrent de « phobie des impôts » (maladie qui affectait un nommé Thévenoud, je crois, secrétaire d'Etat dans le gouvernement), mais ils sont loin d'être les seuls. C'est sûr qu'ils considèrent que frauder le fisc est un péché très véniel. Mais par ailleurs, il est de plus en plus probable que des gens, sûrement  très bien intentionnés, et qui n'ont sûrement rien à se reprocher, travaillent activement à l'effondrement de la Grèce et à l'étranglement de son peuple. Quant à l'Europe concrète, je voudrais bien savoir quelque chose des forces concrètes (et opaques)  qui la meuvent. 

Pour vous en assurer, pour recouper les sources d’information, pour entendre le son d'autres cloches, écoutez l’émission tout à fait éclairante Terre à terre du samedi 30 mai 2015. C’est sur France Culture. Cinquante-trois excellentes minutes (53’). 

Pour comprendre l'ignominie, pour comprendre que ce sont les bandits qui sont aux commandes (FMI, Commission européenne, BCE, …). 

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 28 mai 2015

POUR TEDI PAPAVRAMI 1

1/2 

PAPAVRAMI.jpgJe n’ai jamais mis les pieds en Albanie. Je connais fort peu d’Albanais. Un très curieux livre d’un nommé Rexhep Qosja (prononcer Redjep Tchossia, paraît-il), intitulé La Mort me vient de ces yeux-là. TBC EUROPA 1.jpgUne BD d’un nommé TBC, Europa, en deux épisodes, sur quelques mafias venues de par là-bas (on va dire Balkans) : plus brutal, plus noir et plus désespéré, j’imagine que c’est toujours possible, mais. 

Oh, et puis il y a les faits divers : quelques saisies d’héroïne dans les milieux albanais de la banlieue lyonnaise. Et puis un drôle de business, aussi : un immeuble destiné à la démolition dans un quartier en rénovation, squatté par une bande d’Albanais qui « louent » les « logements » à des compatriotes au tarif de 150 € la semaine. Et la police n’a pas le droit d’intervenir tant que personne n’a porté plainte. Mais est-ce qu’un sans-papiers porte plainte ? Ce serait étonnant, non ? Le monde actuel est décidément délicieux. 

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Le Progrès, 27 mai 2015 (p. 10).

Non, l’Albanie, ce n’est pas que ça, faut pas croire. Il y a le grand Ismaïl Kadaré et ses livres, Le Pont aux trois arches, Le Général de l’armée morte, Avril brisé, Les Tambours de la pluie, Qui a ramené Doruntine ?, …. Et puis il y a Tedi Papavrami. Il n’est pas écrivain. Il a quand même écrit un récit autobiographique, à l’incitation des quelques amis conseilleurs. Le livre s’intitule Fugue pour violon seul (éditions Robert Laffont, 2013). 

Ne pas s’attendre à de la littérature. L’ouvrage se veut un témoignage. Car l’Albanie dont il parle est celle d’Enver Hoxha (prononcer Hodja ?), alias « Oncle Enver », l’avatar albanais du « Guide Suprême », l’égal des Staline, Ceaucescu, Pol Pot, à l’échelle d’un pays de 3.300.000 habitants, grand comme la région Poitou-Charente (dixit l’auteur, je n'ai pas vérifié). Je veux dire leur égal dans la folie tyrannique, la joie sanguinaire et la férocité des méthodes policières. 

Le cher homme était même assez atteint pour quitter le Pacte de Varsovie, au grand dam du « Grand-Frère » soviétique, et se brouiller avec l’autre « Grand-Frère » Mao Dze Dong, et transformer son petit pays en forteresse retranchée du reste du monde, derrière ses barbelés. Ceux qui voulaient s’échapper de ce « paradis communiste » avaient tout intérêt à réussir du premier coup. Il va de soi que le niveau de vie et l’état économique et industriel du pays sont tombés plus bas que ceux du Burkina-Faso, ou même du Malawi. Ça explique peut-être les mafias.

Mais Tedi Papavrami n’était pas un gamin ordinaire : il appartient à l’espèce rarissime des enfants prodiges, des génies précoces. Ça ne s’explique pas : c’est comme ça. Lui, c'est le violon. Quelqu’un qui vous aligne aussi net les Caprices de Paganini à neuf ans, vous dites comme Victor Hugo dans William Shakespeare (2, IV, 3) : « A Pégase donné, je ne regarde point la bride. Un chef d’œuvre est de l’hospitalité, j’y entre chapeau bas ; je trouve beau le visage de mon hôte ». Il faut voir comment un gamin de onze ans est capable de vous envoyer dans la figure la Campanella de Paganini, en Grèce en 1982 (cliquez pour 10' 21" d'étonnement, ce n'est pas toujours « propre » dans les sautillés, mais bon). Il a onze ans. Et même pas peur.

J’ai commenté, il y aura bientôt un an (22-24 juin 2014) le livre de Nikolai Grozni, Wunderkind (« enfant prodige »), qui m’avait frappé de saisissement, par la terrible âpreté de l’aventure. Lui, c'était le piano. Le monde bulgare de l'époque soviétique, comme une jungle où n’évoluent que des fauves, qui n’attendent que l’occasion de s’entredéchirer, sous un ciel de pierre, dans un air irrespirable, au fond d'une bassine où bouillonne la noirceur. Un livre absolument glaçant et passionnant, avec au centre un Chopin hissé jusqu'au tragique. 

Avec Papavrami, l’ambiance est plus amène, parfois même pleine d'urbanité. Grozni détestait son père, n’aimait pas trop sa mère. C’était sans doute réciproque. La famille Papavrami, d’origine bourgeoise, est tolérée par le régime communiste, qui lui laisse la maison ancestrale, avec son jardin, ses mandariniers, son mur protecteur, ses souvenirs. Mais c'est une famille solide, à l'ancienne. Une famille, quoi.

L’équilibre, socialement et politiquement, est toutefois instable. Papa travaille au « lycée artistique », dans la section musique, où sa réputation d’excellent pédagogue du violon fait merveille, en même temps qu’elle le protège tant soit peu des rigueurs du régime. C’est simple : tout le monde le respecte, voire le craint.

Il est frustré dans sa carrière depuis la sortie du Pacte de Varsovie, qui l’a obligé à retourner à Tirana avant d’avoir achevé ses études à Vienne (où il a acheté un violon Bergonzi, dans lequel un luthier parisien ne verra plus tard qu'un faux). Mais la famille vit dans une bonne ambiance de tranquillité, dans une maison agréable, avec un jardin clos de murs.

Des privilégiés, somme toute. 

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 27 mai 2015

« POSSÉDÉS » ou « DÉMONS » ?

DOSTOÏEVSKI LES DEMONS.jpgCi-contre, l'édition "club" : lire "bessy" (ou "biessy ?"), qui veut dire "Les Démons".

2/2 

La deuxième moitié du livre nous fait prendre pied sur le terrain politique. Verkhovensky fils (Piotr Stépanovitch) est le chef d’une section clandestine de révolutionnaires. Il fait croire à ces exaltés tant soit peu nihilistes que celle-ci n’est qu’une cellule dans un vaste réseau dirigé depuis l’étranger par une sorte de Comité Central. 

La réunion (intitulée « Chez les nôtres ») a quelque chose de proprement stupéfiant de prescience du régime qu’instaureront beaucoup plus tard Lénine, puis Staline. Sorties du cerveau de Chigaliov (le théoricien qui forme avec l'activiste Verkhovensky la transposition dans le roman du nihiliste frapadingue et historique Netchaïev) et expliquées par « le professeur boiteux », on lit des choses comme : « Partant de la liberté illimitée, j’aboutis au despotisme illimité ». 

Plus fort encore : « Pour résoudre définitivement la question sociale, il propose de partager l’humanité en deux parts inégales. Un dixième obtiendra la liberté absolue et une autorité illimitée sur les neuf autres dixièmes qui devront perdre leur personnalité et devenir en quelque sorte un troupeau ; maintenus dans une soumission sans bornes, ils atteindront, en passant par une série de transformations, à l’état d’innocence primitive, quelque chose comme l’Eden primitif, tout en étant astreints au travail ». 

Et Verkhovensky explique plus tard à Stavroguine : « Son projet est remarquable (…). [Chigaliov] établit l’espionnage. Chez lui, tous les membres de la société s’épient mutuellement et sont tenus de rapporter tout ce qu’ils apprennent. Chacun appartient à tous, et tous appartiennent à chacun. Tous les hommes sont esclaves et égaux dans l’esclavage ». Ah bon ? Ça vous rappelle quelque chose ?

Et puis encore : « La soif d’instruction est déjà une soif aristocratique. A peine laisse-t-on s’installer la famille ou l’amour, que naît aussitôt le désir de propriété. Nous tuerons ce désir : nous développerons l’ivrognerie, la calomnie, la délation ; nous plongerons les hommes dans une débauche inouïe, nous détruirons dans l’œuf tout génie ». 

Allez, une dernière pour la route : « Seul le nécessaire est nécessaire, telle doit être dorénavant la devise de l’humanité. Mais il faudra aussi lui accorder de temps en temps quelques convulsions ; et nous, les chefs, nous y pourvoirons. Les esclaves doivent avoir des maîtres. Obéissance complète, dépersonnalisation absolue ; mais tous les trente ans, Chigaliov autorise les convulsions ; et alors tous se jetteront les une sur les autres et s’entre-dévoreront ; mais jusqu’à une certaine limite seulement, uniquement pour vaincre l’ennui. L’ennui est un sentiment aristocratique. La société de Chigaliov ne connaîtra plus les désirs ». Précisons que Stavroguine, qui écoute ce galimatias, se demande si l'autre n'est pas carrément cintré ou complètement ivre.

Que Chigaliov (à moins que ce ne soit Verkhovensky) et son programme transposent (en caricaturant ?) le hélas trop authentique et historique Netchaïev et son Catéchisme du révolutionnaire ne fait guère de doute. Intéressant de savoir aussi que Lénine s’inspira de celui-ci pour concevoir dès 1902, puis organiser le parti bolchévik qui allait prendre le pouvoir quinze ans plus tard, avec les suites bien connues, mises en musique par Staline et consort. 

Pour confirmation, on se reportera à la remarquable bande dessinée La Mort de Staline, de Fabien Nury et Thierry Robin, pour se faire une idée de l’ambiance terrifiante qui régnait au sommet de l’Etat soviétique, y compris et surtout parmi les plus proches du pouvoir suprême, qui savaient comment ils étaient arrivés là, et qui avaient donc toutes les raisons de redouter le pire à tout instant de la part de leurs meilleurs « amis ». 

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Molotov, Krouchtchev : ils se les caillent sur le balcon, parce que Béria a fait poser des micros partout à l'intérieur. Ça ne les empêche pas de préparer l'avenir d'un certain nombre de leurs « amis » : « De très longues listes, où l'on n'oubliera personne ». Il n'y a pas que dehors qu'il fait très froid. Brrr ...

 

Le projet de ce petit noyau de révolutionnaires, à qui l’on a fait croire que la même chose se passerait partout dans les campagnes russes, est de gâcher la « fête » voulue par Julie Mikhaïlovna, épouse du gouverneur Von Lembke, une sorte de fantoche et de mari falot, et de semer le trouble dans la ville par tous les moyens, dans l’espoir de provoquer l’insurrection qui balaierait l’ordre établi. 

On ne résume pas Les Possédés. Il faudrait encore citer le personnage de Lébiadkine, vaguement officier en retraite et diplômé d’ivrognerie, qui bat sa sœur, laide, boiteuse et plus qu’à moitié folle. On apprendra que celle-ci (Maria Timopheïevna) a été épousée autrefois, par bravade et par Nicolaï Vsévolodovitch (c'est un zeugma), fils de Varvara Petrovna Stavroguine. 

Ce personnage, qui occupe dans le roman une place centrale, on découvre dans un chapitre censuré (« La Confession de Stavroguine », ou « Chez Tikhone »), qu’il a longtemps été complètement barré, désespéré, capable de prendre au pied de la lettre, dans une réunion mondaine, le nommé Gaganov affirmant : « On ne me mène pas par le bout du nez », le saisissant aussitôt par l’appendice nasal et lui faisant traverser le salon. 

La vie ne lui est de rien, semble-t-il, aussi incapable de s’aimer que d’aimer Lisaveta Nicolaïevna. On comprend, dans sa « confession », qu’il a sans doute violé une fillette, qu’il n’empêche pas ensuite de se pendre après qu'elle lui a déclaré : « J’ai tué Dieu ». Et pourtant, le comploteur Piotr Stépanovitch l’admire tel un demi-dieu, qu’il rêve de voir sur le trône de Russie en tant que « tsarévitch Ivan ». Allez comprendre. Je garde après lecture le sentiment que Stavroguine est un personnage romanesque incohérent (un peu à l'image du livre pris dans son entier).

Lébiadkine et sa sœur seront assassinés, soi-disant par l’ancien forçat évadé Fédka qui croyait trouver une forte somme. Les assassins présumés ont tenté de dissimuler leur forfait en mettant le feu à la maison au cours de l’incendie qui a détruit tout un quartier de la ville, mais la maison, isolée au milieu d’un terrain vague, a refusé de brûler. Fédka sera lui-même retrouvé mort, sur un chemin. 

Il semblerait aussi que Dostoïevski a voulu régler quelques comptes avec l'écrivain Tourgueniev, qui s'est paraît-il offusqué du portrait dressé par l'auteur de l'écrivain Karmazinov, qui le présente sous un jour très peu sympathique. Entre « amis », n'est-ce pas.

Alors maintenant, quel est le vrai titre du livre ? J’avais depuis longtemps dans mes rayons Les Démons, dans une édition « club ». Et puis j’ai découvert que ce livre et le « poche » que je viens d’acheter (traduction de Boris de Schloezer) à 1,60 € ne font qu’un. Enfer et damnation. Il paraît qu’il faut dire « Les Démons ». Même si la perspective en est modifiée, ça ne change rien à la folie des personnages. 

Ce qui domine de très haut, une fois qu’on l’a refermé, c’est à coup sûr la dénonciation violente de cette folie destructrice contenue dans l’utopie véhiculée par le petit groupe de conspirateurs dirigé par Verkhovensky, et mû par les théories de Chigaliov. Toute la seconde moitié des Possédés est un pamphlet dirigé contre la folie criminelle de Netchaïev et de tous ses semblables. Faut-il les appeler « communistes », « socialistes », « nihilistes » ? Ou plus simplement : « association de malfaiteurs » ? 

Je pencherais volontiers vers la dernière hypothèse (il est vrai que l'enrichissement personnel n'est le but d'aucun "révolutionnaire"). En me disant que Dostoïevski nous parle d'un temps, après tout, pas aussi lointain qu'on pourrait le penser.

Voilà ce que je dis, moi. 

jeudi, 07 mai 2015

COCAÏNE ÜBER ALLES !

SAVIANO 2014 EXTRA PURE.jpgQuand il a publié Gomorra (en 2006, Gallimard, 2007), Roberto Saviano ne se rendait pas compte qu’il commettait une sorte de suicide. S’il dédie Extra pure (Gallimard, 2014) « à tous les carabiniers qui ont assuré [sa] protection rapprochée », c’est parce que, depuis bientôt dix ans, tous les clans de la « Camorra » qui sévissent à Naples et dans toute la Campanie se sont juré de l’assassiner. Qu’il ne compte pas trop sur Extra pure pour arranger ses affaires. Au contraire. 

Qu’est-ce qu’ils lui ont fait, les mafieux de la terre entière, pour qu’il vienne les embêter comme ça, à mettre toutes leurs combines en plein vent, sur la place publique. Et non content d’asticoter les hyènes et chacals qui règnent sur Naples et alentour, voilà qu’il remet ça, mais dans les grandes dimensions. 

Dans Extra pure, voilà donc qu’il se farcit, dans l’ordre et successivement : 1 – les pires gangs qui ont fait de l’Etat mexicain un arbre pourri des racines à la cime ; 2 – les pires cartels (et milices paramilitaires) qui ont fait de la Colombie un champ de bataille dévasté ; 3 – les pires « mafijas » parties de Russie à l’assaut du monde ; 4 – les pires clans de la N’dranghetta calabraise qui, depuis l’Italie, ont tissé leurs réseaux commerciaux de la Ruhr à l’Australie ; 5  – les pires filières africaines qui ont ouvert à la coke sud-américaine des autoroutes vers l’Europe. 

Il a même un mot de commisération pour les enfants de chœur de laSAVIANO 2007 ROBERTO GOMORRA.jpg  pauvre Camorra napolitaine, qui apparaît sur la photo comme le cousin disgracié de la famille, après être apparue comme dangereuse, infaillible et toute-puissante dans Gomorra. C’en est touchant. Peut-être qu’il est déçu que les premiers gangsters dont il a fait ses ennemis soient aujourd’hui relégués dans les profondeurs du classement criminel international. 

Cela dit, je ne suis pas sûr que son livre serve à grand-chose : y aura-t-il une prise de conscience des gouvernements du monde ? S’entendront-ils pour éradiquer le commerce de cocaïne ? L’auteur lui-même sait que non : il le dit quelque part vers la fin. Il sait qu’Extra pure est un coup d’épée dans l’eau. Un de plus. Je crois qu’il est lucide. Donc désespéré. Pour ne pas désespérer, il faut croire. Roberto Saviano ne croit pas : il sait. Les gouvernements aussi, ils savent. Mais ils ne veulent pas. On pourrait peut-être au moins leur demander pourquoi ?

Par-dessus le marché, il n’a pas choisi la facilité. D'abord l'épaisseur des 450 pages. Et puis aussi, question de style et de choix de narration. Il lui arrive trop souvent, en plein chapitre, de changer de sujet pour y revenir un peu plus loin. C’est le cas p. 391, où il abandonne soudain le « mulet » Mamadou pour énumérer les pays qui ont fait de l’Afrique un « continent blanc » (blanc de la neige qu’on devine, bien sûr), et revenir à Mamadou une fois l’énumération achevée.

Cela fait un livre à l'exposition lourdingue, souvent difficile à suivre, à cause du touffu de l’exposé. Ça m'étonnerait que ça fasse un best-seller. C'est dommage, vraiment. Avec un livre plus clair, plus "pédagogique", l'auteur aurait peut-être été plus efficace. Je regrette qu'il manifeste ici quelques prétentions littéraires. J'ai même cru, au début, qu'il se prenait pour un écrivain. J'aurais préféré un documentaire sec.

Et puis il y a aussi l’aspect « Litanie des Saints » (ou plutôt « Litanies de Satan », extension imprévue du titre de Baudelaire) : quand on a fini les chapitres consacrés au Mexique, on a passé en revue une kyrielle de noms de parrains, une ribambelle de noms de gangs, un chapelet de nom de lieux, une cascade de morts, de cruautés, de têtes coupées et de tortures toutes plus atroces les unes que les autres. On a envie de crier grâce. N’en jetez plus. Cela donne une impression si glauque et dangereuse du Mexique, que je finis par me demander si la réalité en est vraiment descendue à un tel degré de pourriture. 

On a l’impression que la drogue fait couler tellement d’argent dans les poches des « Narcos », que les gangs peuvent acheter les services de n’importe qui, à tous les niveaux des hiérarchies officielles : responsables politiques, administratifs, économiques, militaires et policiers. L’armée et la police semblent si gravement gangrenées, les bandits sont si bien organisés et informés que très peu d’opérations dirigées contre eux réussissent, et même que certaines apparaissent comme secrètement téléguidées par un gang rival pour éliminer un concurrent. 

C’est un livre qui fout la trouille, qui donne l'impression d'être passé derrière le rideau de la réalité du monde : non contents de semer la mort violente, la corruption des pouvoirs, en plus de l’addiction des clientèles à la coke, les narcotrafiquants arrivent à « blanchir » des sommes d’argent tellement astronomiques pour les réinjecter dans l’économie légale, qu’il semble désormais tout à fait impossible pour les polices financières du monde entier de faire la différence entre l’argent propre et le sale. 

Saviano, évoquant la crise financière de 2007/8, affirme même que la masse d’argent sale a sauvé quelques banques de la faillite. Le juge Jean de Maillard (voir mon billet du 9 mars) et les services « Tracfin » de toutes les polices peuvent toujours courir après les responsables du marché de la drogue mondialisée, les gangs sont organisés de façon tellement souple et ingénieuse, que ce ne sera jamais qu’une toute petite partie du trafic (la « partie émergée de l’iceberg », dit l’auteur, des circuits d'approvisionnement en coke et des circuits financiers de blanchiment) qui sera stoppée et saisie. Je veux bien le croire.

La drogue aujourd’hui, à commencer par la cocaïne, qui arrive en tête du hit parade, fait l’objet d’un commerce qui repose sur une organisation digne des entreprises transnationales les plus performantes et réactives. Certains mafiosi ont l’envergure des plus grands capitaines d’industrie. L’auteur évoque par exemple la figure de Mogilevic, « le Brainy Don », « le parrain au QI stratosphérique » (p. 314), génial organisateur. 

Tous les « métiers » de la grande entreprise sont représentés dans les gangs de la drogue par des gens talentueux, toutes les qualités des plus grands entrepreneurs sont présentes chez les personnels de ces multinationales criminelles : le sens de l’organisation, le flair dans le repérage des marchés potentiels, le sens des affaires, l’ingéniosité financière, une adaptabilité presque infinie et immédiate des circuits. Sans parler des chimistes de haut niveau qui s'occupent de toutes les phases de la transformation des feuilles de coca en poudre blanche, capables d'obtenir un produit pur à 95 %.

La structure de ce marché mondial est donc exactement calquée sur le modèle en vigueur dans l’économie capitaliste. Mieux : l’intrication de l’économie légale et de l’économie criminelle est telle qu’on ne saurait lutter contre la seconde sans nuire gravement à la première. Saviano le dit : « J'essaie de comprendre [Mogilevic] jusque dans le moindre détail, pour me démontrer avant tout à moi-même à quel point le monde des affaires est lié à celui de la criminalité » (p. 314).  

Si je mets bout à bout quelques lectures récentes a) sur le fonctionnement dément et destructeur du capitalisme actuel ;  b) sur l’effacement de la frontière entre économie légale et économie criminelle ; c) sur l’affaiblissement dramatique des puissances étatiques face aux forces qui veulent privatiser le monde (hommes, bêtes et choses) à leur profit ; d) sur l’étau policier qui se resserre autour de l’Etat de droit et de l’individu, je me dis que ça commence à faire beaucoup pour une seule humanité, et que bientôt, on ne pourra plus dire, comme le fait quelqu'un de bien connu : « On n’est vraiment bien que sur notre bonne vieille terre ». ON A MARCHE 1.jpgON A MARCHE 2.jpg

 

 

 

 

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

Note : demain, quelques morceaux choisis dans le bouquin pour illustrer le présent billet.  

mercredi, 15 avril 2015

ENNEMIS PUBLICS 2 (MH et BH)

2/4 

2008 ENNEMIS PUBLICS.jpgAttention, la lecture d’Ennemis publics n’a pas bouleversé mes hiérarchies : corriger des images et nuancer les couleurs ne saurait modifier une silhouette autrement qu’à la marge. Je considère toujours BHL comme une tête de nœud envahie par l’image qu’il s’est faite de son moi, un bonimenteur toujours prêt à cameloter sa marchandise en plein vent derrière un étal de produits miracles, genre épluche-légumes ou liquide-vaisselle surpuissant. Mais seulement quand l'objectif d'un photographe est là pour enregistrer.

De même, je considère toujours Houellebecq comme un esprit d’une lucidité éminente sur le monde et lui-même. Un des rares à porter un regard neutre sur le merdier dans lequel plonge la civilisation. Une lucidité augmentée d’une franchise étonnante, parfois à la limite de l'impudeur, comme s'il n'en avait rien à foutre. Mais Houellebecq semble guidé de l'intérieur par une nécessité personnelle qui va bien au-delà de sa personne. Le livre esquisse deux façons d’être et de se représenter : ce n’est pas demain la veille qu’un humain se montrera objectif devant son miroir. Le duo/tandem/duel, ici, reste "costume d'époque" (BH) contre (partiellement) "déshabillé" (MH).

La grande différence entre les deux hommes, j’ai en effet l’impression de pouvoir la situer, précisément, dans leur rapport avec le miroir dans lequel ils se regardent et se dépeignent. BHL est peut-être bien plus intelligent que Houellebecq, je ne sais pas, c’est possible. Et ça m'est égal.

Ce qui est sûr, c’est que cet homme est littéralement bouffé par son intelligence, ou plutôt par l’image qu’il s’en est faite. Intellectuellement brillant, c’est incontestable, BHL porte apparemment à bout de bras – si ce n’est aux nues – l'infirmité du fantasme de sa propre intelligence. La preuve, c’est qu’il se prend pour un philosophe. Peut-être pour un penseur. 

De même, Bernard-Henri Lévy n’est pas écrasé seulement par le massif cerveau en plâtre qui met fin à ses jours dans l’histoire dessinée par Castaza (cf. hier), mais aussi, littéralement, par la masse des lectures qu’il a faites, par l’énormité de la culture qu’il a accumulée. Je ne cite pas les auteurs auxquels il se réfère : ça n’arrête pas, c’est comme un robinet qu’on a oublié de fermer avant de partir en vacances. BHL est en quelque sorte un dégât des eaux. 

Sous la plume de BHL, le Nom Propre prolifère comme le champignon de Champignac dans Z comme Zorglub et L’Ombre du Z. Le même délire onomastique que Yannick Haenel dans Je Cherche l’Italie (cf. mes billets des 14-15 mars), ou Philippe Sollers, très régulièrement à l’oral (pour l’écrit, je n’en sais foutrement rien, parce que devinez).

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Le cerveau de BHL doit être bien infirme de quelque part pour éprouver ce besoin maladif de marcher avec autant de béquilles. Personne ne lui a dit qu’il était assez grand pour penser par lui-même ? S’il n’a plus toutes ses références, il a peut-être peur de s’écrouler. Il a besoin du dictionnaire des philosophes et du Who’s who pour mettre un pied devant l’autre. « Le pauvre homme », s’apitoyait Orgon dans (et à propos de) Tartuffe. 

Même délire onomastique en ce qui concerne les lieux où l’homme a posé les semelles, du genre : « Je suis de retour à New York, cher Michel, ... » (p. 185), « Je vous écris de Calcutta », « J’étais alors à Bahia », ... Afin que nul n'en ignore : la planète n’a pas de secret pour le philosophe. Délire identique encore pour énumérer les régions où l’intellectuel d’action s’est posé en hélicoptère et en chevalier ardent : Bosnie, Darfour, Tchétchénie, … (notez le zeugma, mais je ne garantis pas l'hélicoptère, c'est « just for fun »).

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BHL dans ses rêves, Volsungs le barde en est ébloui. 

Les Noms Propres ? Comme si la vie de Bernard-Henri Lévy ressemblait en fin de compte à une transposition de la litanie des saints. Il est infoutu de laisser son personnage au vestiaire : il l’emmène partout, un peu comme faisait Alfred Jarry avec son Père Ubu, dont il avait adopté quand il était en société le parler saccadé détachant chaque syllabe (voir le personnage dans Les Faux-monnayeurs, d'André Gide).

Mais Jarry s’affichait, sciemment et tout entier, comme un pur artifice. Il n'y avait pas tromperie sur la marchandise : c'est sans doute de ça qu'il est mort. BHL, lui, quand il sort dans le monde hostile (forcément), dégaine la marionnette qui lui sert à ventriloquer : il est sa propre marionnette. Ça protège.

Alors, le point commun de toutes ces références nominales ? Ce sont des « Grands » ou des « Noms qui frappent », voire des « Autorités », parce que tout le monde les a entendus dans les médias, je veux dire des flashes, des étendards, des pancartes, parfois des banderoles. C’est juste fait pour noyer l'adversaire, pour impressionner : qui oserait ouvrir sa gueule devant ce chapelet ? 

Les hooligans, au foot, sont plus souvent dans l’intimidation que dans la violence (mais ça leur arrive). BHL est constamment dans l’intimidation (mais n’hésite pas à menacer un journaliste de lui casser la figure). On finit par se demander : « Mais bon sang, qu’est-ce qui lui manque, pour qu’il éprouve ce besoin de montrer ses muscles ? ». Ce qui ressort aussi de ce salmigondis de noms propres dont BHL soûle son correspondant et le lecteur, c’est, je crois, qu’il se prend pour Malraux. Ou alors Sartre. Peut-être les deux. 

Tiens, puisque j'évoque Sartre, j'ajouterai que le "bocal" de BHL est "agité" (coucou, Céline) de deux grands fantasmes : penser le monde aussi superbement (!) que Sartre, agir sur le monde avec autant de « panache » (!) que Malraux (« Ces deux mots d'ordre pour nous n'en font qu'un », André Breton). J’ai l’impression à certains moments qu’il se prend pour ses modèles, comme s’il y était aliéné. Rêve-t-il d’être à lui tout seul une synthèse accomplie de l’expérience humaine ? Si possible sous le coup de l’urgence (dernièrement les chrétiens d’orient) ? Il a besoin de causes pour exister. Et il doit se dire qu'on n’existe jamais autant que dans le regard des autres. D'où les "causes". Quelles que soient les conséquences.

Être sur tous les fronts, ne renoncer à rien. C’est lui qui l’écrit (p. 287) : « Ne pas choisir, voilà la règle », avant d’embrayer sur les bienfaits de l’opportunisme et de la piraterie. Ne pas choisir : c'était donc ça ! Peut-être le seul véritable aveu qu'il nous livre ici. Le problème, c’est que vouloir être partout, c’est risquer de n’être bon, voire de n’exister nulle part. Du coup, j’en viens à me dire qu’après tout, il est bien possible que BHL n’existe pas, tout simplement. 

Voilà ce que je dis, moi. 

mercredi, 11 février 2015

REISER, LES FEMINISTES ET LE CORAN

En 1979, l'imam Khomeiny prend le pouvoir, chasse le roi (sens du mot Shah), devient le "Guide suprême" de la République Islamique d'Iran. Jean-Marc Reiser commente l'événement, dans le grand, le vrai, le seul Charlie Hebdo, celui d'avant Philippe Val, ce grand pontifiant tourneur de veste, même que c'est à cause de lui que Willem avait déserté toutes les conférences de rédaction. J'en conclus que c'est grâce à ce traître qu'il doit d'avoir la vie sauve.

Nous sommes donc en 1979 : le shah se barre, les mollahs et les ayatollahs prennent le pouvoir. Reiser a tout compris.

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Ben oui, Reiser est un effroyable machiste sexiste. En plus il est islamophobe, voire raciste.

C'est à croire que Houellebecq a piqué l'idée de Soumission à cette BD de Reiser. Qui date de 1979. Trente-six ans !

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 10 février 2015

REISER ET LES FEMINISTES

Ne pas confondre « femme » et « féministe ». D’un côté un être humain sexué normal, de l’autre une doctrinaire pétrie d’une idéologie. D’un côté « cinquante-cinq kilos de chair rose » dans « cinquante-cinq grammes de nylon » (Claude Nougaro). De l’autre, des volumes farcis d'histoire, de théorie et de statistiques montés sur deux jambes. D'un côté, une personne qui tente de vivre sa vie le moins mal possible. De l'autre, une militante qui brandit un étendard pour défendre une cause.

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D’un côté, des individus vivants, concrets et particuliers, de l’autre des êtres génériques, un peu virtuels, qui se vivent et se pensent comme pourcentage d’une masse, et habités par la rage de modifier l'ordre des choses à leur convenance. Et à qui Bourdieu a appris à se considérer comme victimes a priori (cf. La Domination masculine). Conclusion : on ne dira jamais assez les méfaits impunis des sciences humaines en général et de la sociologie en particulier. Sans parler des sociologues.

 

Je sens que je suis de nouveau parti pour me faire bien voir ... Bon, je reconnais que tout ça est un peu binaire. Que ça manque de nuances. Certes. Mais le contraste, quand il est accusé, aide à penser. Et puis ça gagne du temps. Et puis, pour être sincère, ça fait du bien. C'est toute la vertu de la caricature. Il se trouve que Reiser, en matière de caricature, il s'y connaît.

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Pour dire en passant ce qu'il pensait de Mitterrand.

Reiser ne confondait pas. Autant il dessinait les femmes avec un appétit et un amour jamais démentis, autant il regardait les « combats féministes », disons, avec au moins de la circonspection, peut-être pire. Comme le montrent les quelques dessins glanés dans la « Collection Les années Reiser » (éditions Albin Michel), ce bel hommage rendu par le fidèle Delfeil de Ton à son ami trop tôt disparu (en 1983, je crois).

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Il n’y allait pas avec le dos de la cuillère.

 

Voilà ce qu’on a perdu. Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 03 février 2015

LITTLE TULIP

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Je ne pensais pas pouvoir un jour être de nouveau secoué par un album de bandes dessinées comme je l’ai été en d’autres temps par Tintin au Tibet (de qui-vous-savez), La Ballade de la mer salée (Hugo Pratt), C’était la Guerre des tranchées (Tardi), Sarajevo Tango (Hermann) et quelques autres (le dernier en date étant Notre Mère la guerre, de Maël et Kriss). Eh bien si, secoué, je l’étais en refermant ce Little Tulip de Boucq et Charyn.

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Ce bouquin est en soi un éloge du dessin en général. Et du tatouage en particulier. Je me dis que ça devrait plaire à certain. Sans s. Je lui dis bonjour.

Secoué, je l’étais déjà en refermant mon Libé quotidien en août dernier, quand la BD y paraissait en feuilleton. Je m’étais juré d’acheter l’album à parution. C’est loupé, j'ai oublié : j’ai dû me contenter du deuxième tirage. J’enragerai quand je verrai la cote grimper dans le BDM. Tant pis pour moi. De toute façon, j’ai aussi loupé le Charlie Hebdo du 7 janvier (celui avec Houellebecq en « une », 200.000 € sur eBay, il paraît, je n’ai pas vérifié, quelqu'un qui avait du pognon à claquer, il s'en foutait de savoir que Charlie Hebdo était devenu "pas très bon" - euphémisme).

 

Boucq, je le connaissais depuis Mormoil, dont j’avais la collection complète (7 malheureux numéros, j’avoue que j’ai un peu oublié ce qu’il y avait dedans, je me souviens juste de la couverture où Bardot, généreusement caricaturée par Mulatier, y allait de sa bulle ahurie : « Mords-moi le quoi ? »). 

 

J’aimais bien une série de Pilote où Boucq développait les aventures d’un citadin lambda, mais en prenant strictement au pied de la lettre l’expression « jungle urbaine ». C’était tout à fait réussi, marrant, surprenant. Une ville "forêt vierge", les bus à l'avenant, un délire bien homogène, quoi, entre le foutage de gueule et l'analyse de civilisation, de celle qui prend en compte le discours publicitaire, vous savez, celui qui vous fait vivre « l'aventure au coin de la rue » (Bruckner et Finkielkraut, 1979). J’aimais avant tout la virtuosité, l'incroyable précision de son trait, qui s’apparente de près ou de loin à la « ligne claire ».

 

Charyn, en revanche, j'avais juste entendu son nom comme ça, en passant. Bon, j’apprends que c’est un écrivain américain prolifique. J’apprends surtout qu’il n’en est pas à son coup d’essai avec Boucq. Je me suis promis d’aller voir de plus près de quoi il retourne avec ce bonhomme dont l’âge approche de la huitième dizaine et qui vous percute le sternum avec une histoire dessinée à la pointe affûtée d’un poignard. Je veux en savoir plus sur tout ce qu’a pu produire ce tandem depuis 1986. Et que j’ai soigneusement loupé. J’aime ce genre de surprises, celles qui vous disent qu’il vous reste des merveilles à découvrir. En même temps que ça vous laisse l'impression amère d'être passé à côté de quelque chose de géant au moment où ça se passait.

 

Car Little Tulip est une merveille à couper le souffle. Un bijou de BD. Et d’une prémonition proprement hallucinante, au vu des événements de Paris en janvier, comme le montre la vignette ci-dessous.

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Simple curiosité : j'aimerais savoir qui est la personne dont Boucq a tiré ici le portrait.

Je ne vais pas résumer l’histoire, juste situer le cadre du récit. Paul/Pavel est « portraitiste-robot » pour la police new-yorkaise. Il assiste à l’entretien entre un inspecteur et un témoin et dessine ce qu’il « voit » quand il entend la description d’un délinquant ou d’un criminel. Ses portraits sont d’une ressemblance qui stupéfie les témoins. La police aimerait surtout mettre fin à la série de viols-meurtres dont se rend coupable un certain « Bad Santa », qui signe ses forfaits d’un bonnet de Père Noël, et compte pour cela sur l’étrange pouvoir graphique de Paul/Pavel. La suite de l'histoire montrera le problème sur lequel, cette fois, il bute pour « voir ».

 

C’est qu’il ne vient pas de n’importe où, Pavel/Paul. Il a sept ans et le génie du dessin. La petite famille américaine a émigré à Moscou avant la 2ème guerre mondiale. Elle vit petitement. Le père, un artiste, rêvait de cinéma et voulait travailler avec Eisenstein. Ce qu'il a fait. 

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"C'est l'esprit qui crée les formes" : ma parole, Jérôme Charyn a lu Bergson, l' "élan vital" qui se fraie un chemin dans la matière pour aboutir à la forme qui lui est propre, tout ça.

Paul/Pavel, 6 ans, très doué, est son meilleur élève. En 1947, les parents sont accusés d’espionnage et la famille est envoyée à la Kolyma, dont le nom générique est "Goulag". C’est des allers-retours entre l'effrayant camp de Magadan et New York, entre le passé et le présent, qu’est composé le récit. 

 

On apprendra que le père est mort, que la mère appartient au « harem » du « Comte », un « pakhan » puissant. Les « pakhanys » sont de redoutables bandits, auxquels les autorités staliniennes laissent le soin de faire régner l’ordre dans le camp. Tout marche bien tant que tout le monde respecte les règles.

 

Faut-il dès lors se dire que l’ordre, qu'il soit terroriste ou démocratique, vaut mieux que le désordre ? Je n'en sais rien. Mais à observer quelques situations présentes, dans diverses contrées riantes de notre belle planète, on pourrait conclure que ce ne serait en aucun cas fortuit.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

samedi, 17 janvier 2015

TARAF DE HAÏDOUKS

Ils m'ont tué Cabu. Ils n'avaient pas le droit.

 

Pour ne pas trop penser à sa mort, à celle de  Wolinski et des autres, en ce moment, je me shoote à la musique. Une musique de joie et d’énergie, si possible. Le hasard faisant bien les choses cette fois, je suis retombé en triant quelques disques sur un album que je n’avais plus écouté depuis une éternité.

 

A l’époque, le groupe s’appelait « Les lăutari de Clejani ». Clejani est une commune située à proximité de Bucarest, au sud-ouest. En remettant le CD sur la platine, je me suis demandé pourquoi j’avais enterré si longtemps cette musique éclatante de vie. D’un autre côté, je me dis que c’est merveilleux de redécouvrir. Parce que vous avez de nouveau cette incroyable impression de « première fois » qui vous saisit. Cette musique, vous ne l’aviez jamais entendue auparavant. Vous êtes disponible. Tout neuf.

 

Surtout qu’entretemps, (de 1988 à 1991) ils ont changé de nom. Moi, je les connaissais sous le nom de « Taraf de Haïdouks ». En français : orchestre de bandits d’honneur, « haïdouk » désignant un Robin des Bois à la roumaine. Relire à cette occasion Présentation des haïdouks, petit livre mémorable de Panaït Istrati. Ils ont eu leur heure de gloire. Pas d'erreur possible. Et c’est sûr, ce sont les mêmes. Le vieux Nicolae Neacşu, Ion Manole, Ion Fălcaru, d’autres, on les retrouve d’un CD à l’autre. Environ une douzaine, en formations variables suivant les morceaux.

 

J’ai passé grâce à eux des instants magiques, me replongeant dans des ambiances exotiques datant d’avant la chute de Ceaucescu. Du coup, j’ai révisé les trois volumes que je m’étais procurés du temps de la célébrité de ces « haïdouks ». Dans celui de 1994 (« Bandits d’honneur,chevaux magiques et mauvais œil »), j’était littéralement tombé en extase en écoutant la plage 7 (« Cintec de Dragoste şi joc »). C’est une chanson d’amour, paraît-il. Mais quelle envolée, ma parole !

 

C’est étourdissant. Vous les entendrez, les deux compères, ils se relancent l’un l’autre, ils se répondent. Que disent-ils ? Je n'en sais rien, et je m'en fiche. Une « jam session » endiablée, rien d’autre. Ils se laissent aller à l’idée du moment, à la réplique qui fuse. Dans le jazz, on appelle ça l’improvisation. Et attention, ils sont déchaînés. La preuve que c’est excellent, c’est que les producteurs ont laissé les éclats de rire quand le morceau s’arrête. Ils sont tout étonnés d'avoir fait ça, de s'être donnés comme ça, ensemble. Des ambiances comme ça, ça ne se rencontre pas tous les jours, surtout en studio.

 

Le fin du fin, je l’ai trouvé sur Youtube. Un film de 1998 qui dure 44'16". C’est une chance unique, je vous assure. C’est enregistré par des Suisses qui s’y connaissent en sons musicaux et en technique d’enregistrement (c'est quand même en Suisse que Kudelski a inventé le Nagra et que Studer a fondé la marque Revox) : le son est parfait. Je veux dire que chaque instrument est individualisé au moment où il le faut.

 

Le plus formidable dans l’histoire, c’est qu’on les voit de près, chacun à son tour. Le vieux Neacşu qui n’a plus de dents et qui joue et chante « Balada conducatorului » (le Conducator en question s'appelait Ceaucescu) en tirant artistement un crin de cheval sur les cordes de son violon. Le cymbaliste barbu et le bassiste, les deux virtuoses de la « section rythmique ». Les deux accordéonistes qui, à deux minutes de la fin, réussissent à jouer strictement la même ligne mélodique effrénée. Les acrobaties ahurissantes de deux des violonistes, le grassouillet tout placide et l’enthousiaste tout nerf. Les interventions du flûtiste, Fălcaru je crois, avec son air un peu égaré de vagabond des limbes (aucun rapport avec la BD de Ribera et Godard).

 

Un des airs qui me touchent particulièrement est intitulé « Pe deasupra casei mele » (plage 4) : situé tout au centre du concert, il étonne et détonne. Son rythme balancé, ses modulations plus complexes entre couplets et refrain, ses quatre solistes successifs, contrastés et homogènes, ont un grand charme.

 

Je ne me lasse pas de visionner ces images qui me remplissent de joie. Ces musiciens se regardent, s’écoutent, se donnent. On les voit exulter, sérieux ou exubérants. La « Cintec de Dragoste » n’a pas autant d’éclat que la version mentionnée, mais ça déménage quand même.

 


 

Je suis sûr que Cabu aurait adoré.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Les plages : 1 – Turcească ; 2 – Balada conducatorului (à 8’58") ; 3 – Rustem şi suite (à 16’46") ; 4 – Pe deasupra casei mele (à 21’07") ; 5 – Doina, hora şi briu (à 25’16") ; 6 – Cintec de dragoste ca la Roata (à 31’12") ; 7 – Tot Taraful (à 36’38"). 

lundi, 12 janvier 2015

POUR CABU

CABU, WOLINSKI, REISER ET QUELQUES AUTRES (1)

 

Cabu se serait bien marré. Non : Cabu serait tombé sur le cul, les yeux écarquillés, frappé d'incrédulité, hurlant de rire, et se serait pincé pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Netanyahou, Abbas, Merkel, Cameron, Hollande, Lavrov, Renzi et un tas de puissants et d'autres huiles politiques défiler, graves et déterminés, « tous ensemble, tous ensemble », derrière la banderole qui proclamait « Je suis Charlie ». Enorme. 

J'ai quand même du mal à imaginer sincères tous ces puissants de la terre derrière la banderole portant le titre d'un journal qui s'était donné pour mission de dézinguer toutes les "grandes figures", en effigie, s'il vous plaît. Ou si vous préférez, de leur tirer dessus à balles métaphoriques. 

J'espère seulement que le sursaut grandiose des Français par millions aura des prolongements dans la réalité concrète. Cela n'est pas gagné d'avance (se rappeler l'élection d'un escroc avec 82% des voix en 2002 pour empêcher l'élection d'un facho). Le problème, c'est qu'il va falloir réfléchir un peu. Essayer de faire converger des analyses de la situation. On appellerait cette fiction l'unité nationale. C'est ça qui n'est pas gagné.

 

Cabu est mort. Assassiné. Pas par un de ses propres « beaufs ». Pas non plus par une de ses propres badernes plus ou moins galonnées, celle nommée « adjudant Kronenbourg ». Mais par les balles d'un cinglé en état d'ébriété avancée, shooté à l'alcool du fanatisme religieux, plus puissant et destructeur qu'une caisse de grenades défensives (vous savez, les quadrillées) dégoupillées. Ces types-là, en tuant Cabu, ils viennent de m'arracher une partie de moi-même. J'exagère à peine.

 

Cabu est mort. Cette phrase, dans sa simplicité brutale, n’est pas entrée dans mon cerveau. Pas encore. Mais je sais qu’il va bien falloir qu’il s’y fasse, mon cerveau. Mais il va falloir qu'il fasse un effort pour se dire une fois pour toutes que non, ce vieux compagnon de route dont il a suivi tout le parcours, pas depuis le début, mais pas loin, ne posera plus jamais dans la presse libre les balises de ses dessins au trait acéré.

 

Cabu, je l’ai découvert dans Pilote. Facile : Le Grand Duduche est inscrit dans l’architectonique de la Bande Dessinée française, au même titre que le Beauf, le sergent Kronenbourg et la Fille du Proviseur. Ah, la Fille du Proviseur !...

 

Cabu était antimilitariste et pacifiste intégral. Il avait le droit : c’était cohérent avec le reste de sa vie. Je ne le suivais pas là-dessus. Aujourd’hui, les humanitaires, ces pacifistes revisités par le besoin pressant de sauver le monde, se font couper la tête.

 

Sans se rendre compte que l’existence de toutes les « ONG » et autres myriades d’associations humanitaires tient compagnie et fait escorte à l’accroissement de la violence et de la guerre dans le monde, puisqu’elles n’empêcheront jamais les dévastations et les cruautés.

 

Dans le même temps, grâce à leurs interventions, les dictateurs les plus cruels peuvent commettre tous les crimes qu’ils veulent en se disant que les conséquences de leurs actes seront (tant bien que mal) adoucies et corrigées par le travail de tous ces gens au si bon cœur, qui sont l'avatar contemporain de ceux que Lénine appelait les « Idiots Utiles ».

 

Et les Etats qui forment l’introuvable « communauté internationale » se voient, par ce même travail, débarrassés des charges et des devoirs qui leur incomberaient si les ONG et les « humanitaires » n’existaient pas.  Comme si, entre les ONG et les bourreaux, s’était installée une assez intéressante division du travail.

 

Tout ça pour dire que ce qui me reste de Cabu n’est pas, et loin de là, l’ensemble de ses positions. Ce qui me reste, c’est d’abord la virtuosité et la férocité de son trait, additionnées de la pertinence percutante de ses légendes et dialogues. Ce qui me reste, c'est l'œuvre de ce dessinateur de presse à la créativité infatigable et à la trajectoire impeccable. Ce qui me reste, c'est son talent. Non, ce qui me reste, à vrai dire, c'est son génie. Dans son genre, certes, mais j'insiste : son génie.

 

C’est la base de la caricature : saisir l’essentiel d'un caractère, d'une silhouette, d’un ridicule, d’un personnage public, d’un type d’homme, puis le grossir jusqu’à obtenir la plus grande puissance d’impact. Dans ce domaine, le regard et la main de Cabu, depuis Hara Kiri et Pilote jusqu’à Charlie Hebdo et Le Canard enchaîné, sont uniques, et à leur manière, insurpassables. Regardez l'effet mahousse qu'a eu son dessin de Mahomet (en 2006 si je me souviens bien).

 

Et puis franchement, Cabu, c’est un peu d’abord mon histoire à moi. Je l’ai donc découvert dans Pilote. Je ne me rappelle plus grand-chose de son époque Hara Kiri. J’ai suivi son travail quand il travaillait pour Hara Kiri Hebdo, puis, à partir de la mort de De Gaulle en 1970 (« Bal tragique à Colombey »), dans Charlie Hebdo

 

Sans adhérer, j’étais sensible à sa façon de parler de la réalité, peut-être le recul ironique, peut-être l’insolence et l’irrespect. Peut-être encore une certaine façon de récuser l’autorité des autorités.

 

Et puis Cabu, pour moi, c’est aussi un goût pour la musique qui tombe exactement en résonance avec le mien. Cabu était capable de vous chanter par cœur au débotté « Mam’selle Clio » ou « Le débit de l’eau » (ai-je besoin de préciser qu'on parle de Charles Trenet ?). De s’enthousiasmer pour Cab Calloway, bon, c’est du grand orchestre comme je n’aime pas trop le jazz, mais c’est du swing, et ça swingue.

 

Et puis Cabu, j’avais adoré certaines pages. Me vient à l’esprit le canular que cette bande de copains de Châlons-sur-Marne avait monté à l’époque du Strasbourg-Paris à la marche. Un type, suivi par quelques entraîneurs, encourageurs et amis, s’était présenté un peu en avance sur l’horaire prévu dans les rues de la ville. La blague avait consisté à se faire offrir le champagne et autres gourmandises par un cabaretier de la ville, particulièrement renommé pour son avarice. Le marcheur s'appelait Georges Schmitt. Cabu organisait. L'histoire se passait en 1959. Schmitt l'évoque dans un article de L'Union L'Ardennais du 25 novembre 2011.

 

Bref, ce que j’apprécie chez Cabu, fidèle tout au long de son existence à certaines préoccupations, c’est sa haine de la suffisance et de la bêtise, de l’arrogance et de la puissance, du pouvoir installé et de la bureaucratie déconnectée de toute réalité. C’est une question d’attitude générale face au monde tel qu’il est. Je garde de lui le souvenir d’un infatigable poseur de questions (toujours « à quoi ça sert ? » passe avant « comment ça marche ? »). Un peu de philosophie, que diable, avant de tomber à genoux pour s'extasier devant les prouesses de la technique.

 

Cabu ne sera pas remplacé. Je suis français. Je suis en deuil.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

samedi, 03 janvier 2015

CARTES POSTALES DU NORD

 

TRAITES INEGAUX  LOTUS.jpg

« ABOLIR LES TRAITÉS INÉGAUX »

C'est ce que signifient, paraît-il, les idéogrammes affichés au mur dans cette vignette de la page 7 du Lotus bleu. S'agissant de la Chine, tout Le Lotus bleu est comme ça. Pour dire que le rayonnement planétaire de l'œuvre de Hergé n'est pas dû au hasard.

Les "traités inégaux" ont été signés au milieu du 19ème siècle par les puissances occidentales avec la Chine, le Japon et la Corée.

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PAYSAGES NORDIQUES

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vendredi, 21 novembre 2014

NOTRE MERE LA GUERRE

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Notre Mère la guerre est donc un vrai roman sur la première guerre mondiale vue du côté français, avec une vraie intrigue, de vrais personnages, de vraies situations, de vraies péripéties. Ce qui est admirable dans ce livre, c’est la magie de l’équilibre que scénariste et dessinateur sont arrivés à établir entre le fil de la narration et le cadre historique dans lequel se situe l’action.

 

Ils ont aussi trouvé, pour le récit, le ton et la distance focale qu'il fallait, s'agissant de ce fleuve des enfers où s'est engloutie la vieille civilisation européenne, pour évoquer une guerre qui a rendu caduque et absurde toute notion de chevalerie ou d'héroïsme : il n'y a plus de héros face à l'obusier de 120, au canon de 155 ou au mortier de 340. Il n'y a plus de chevaliers face au barrage d'artillerie. Que peut la pétoire du poilu comparée à la mitrailleuse Maxim qui l'attend dans la tranchée d'en face ? Autant imaginer un cycliste en train d'attaquer de front un trente-huit tonnes. Et en 1939, il n'est pas vrai, paraît-il, que les Polonais aient envoyé leur cavalerie contre les chars allemands. Il n'y a pas non plus de héros, dans Notre Mère la guerre

 

Ce n’est pas un hasard si les trois premiers albums de la série se présentent comme des « complaintes » (le dernier étant un « requiem »). Ce qui me vient à l’esprit, à la lecture ? J'entends par exemple la lamentation des violes du Lachrymae or seven tears, de John Dowland. J'entends aussi l’extraordinaire et terrible musique du War requiem de Benjamin Britten. « Pauvre humanité ! », semblent avoir voulu dire les auteurs, Maël et Kris. C’est sûr, on n’est pas dans l’exaltation de l’héroïsme.

 

La force de l’histoire, c’est que le motif de l’intrigue est lié de façon indissoluble avec les événements qui se passent sur le front. Le hasard fait que Roland Vialatte, lieutenant de gendarmerie de son état, et Gaston Peyrac, forgeron, vivaient dans le civil, avant la guerre, dans le même village du grand sud-ouest (il y a vraiment un Soulac en Gironde). Le premier a été amené à enquêter sur quelques meurtres. Le second, c’est le moins qu’on puisse dire, ne porte pas dans son cœur les poulets, perdreaux et autres volailles représentantes de l’ordre. D’autant que le gendarme-flic a œuvré avec succès, semble-t-il, puisqu’on l’appelle sur le front pour résoudre une sale affaire.

 

Et sur le front, le lieutenant Vialatte tombe forcément sur le caporal Peyrac, qui commande une bande de jeunes voyous qu’on a tirés de prison pour les envoyer au casse-pipe, à condition qu’ils se portent volontaires. Le directeur de la prison sera même ému en entendant ces "volontaires" se mettre à chanter La Marseillaise. Pas des enfants de chœurs, donc. La sale affaire consiste en une succession de meurtres de femmes qui se produisent en première ligne. Elles ont été égorgées. Pas toutes en même temps.

 

Bon, je ne vais pas me mettre à résumer l’intrigue. Disons seulement que c’est un tissu de circonstances et d’états successifs qui se trouvent être la cause de ces meurtres, et quand on a compris, le reste découle, comme souvent. Je précise juste qu'ils sont liés au malencontreux hasard d'un soir de mauvais temps, et surtout que les fils sont assez embrouillés pour produire une situation complexe, qui permet aux narrateurs d’élaborer un bel écheveau pour nous promener des avant-postes de première ligne à la vie des civils de Paris et de province, dont le quotidien est lui-même malmené. Et qui nous reporte au temps d'avant la guerre, où ces déguisés en militaires étaient encore des paysans, artisans, bourgeois, aux prises avec les passions, habituelles et petites, de l'humanité concrète.

 

La force de la chose est que, à aucun moment dans le livre, l’enquête de Roland Vialatte (aidé ensuite du capitaine Janvier) ne fait perdre de vue aux auteurs, Maël et Kris, le théâtre de la guerre, qui demeure envers et contre tout, à chaque page, l’âme vibrante, tonnante et martyrisée du récit.

 

Je ne dirai rien d'un des nœuds de l'intrigue, lié à la vie privée d'un des poilus, qui me semble franchir la limite du vraisemblable, juste que ça n'enlève rien à la puissance d'évocation dégagée par l'ouvrage dans son ensemble. On a vu pire en matière d'improbable mis au service des fausses pistes dans un roman policier. Je ne dirai rien non plus de la fin, parce qu'il faudrait, pour qu'on comprenne, que je raconte tout. Et dans ce cas, on n'est pas encore au bout.

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Je n'ai pas parlé des dessins aquarellés de Maël. C'est un virtuose de l'expressivité. Il y a de la ligne claire, à la base, c'est certain, mais chaque vignette de chaque planche est comme lavée d'une encre qui parcourt toute l'échelle des bistres, du clair au presque noir. Cela donne une image tout à fait curieuse de la guerre : les personnages, le décor, la nature, le ciel même, tout est baigné dans une atmosphère terreuse, crépusculaire et sale du plus grand effet. Le monde que dépeint Maël semble avoir perdu jusqu’à l’idée de la lumière.

 

Franchement, c’est une prouesse.

 

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 20 novembre 2014

NOTRE MÈRE LA GUERRE

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Décidément, si ça continue, il va falloir que je me fasse amputer. Ben oui, la guerre de 14-18 me colle tellement à la peau que je ne vois plus que le bloc opératoire pour m’en débarrasser. J’ai beau me dire qu’il faudrait que je m’en défasse, je continue à voir tout ce que l’Europe doit à la première guerre mondiale et à ce qui s’est produit ensuite : le 20ème siècle, siècle de la destruction, déesse sortie toute armée des tranchées, qui a poursuivi sa tâche technique avec méthode et persévérance, qui a même essaimé sous toutes les latitudes, et qui est de nouveau en train de pointer le bout de son groin à l’autre bout du continent, ce vieux terrain de ses exploits d’il y a cent ans.

 

Mais voilà, elle insiste, la « Grande Guerre ». Cette fois, c’est à cause de mon pote Fred (conseillé par Véro). Il m’a dit qu’il connaissait une BD consacrée à la guerre des tranchées qui surpassait en force tout ce que le grand Jacques Tardi à réalisé sur le même sujet. Ce qui n'est pas rien. C’était me mettre au défi.

 

J’ai donc acheté le bouquin, intitulé Notre Mère la guerre. Kris a écrit, Maël a peint et dessiné. Je ne connaissais ni l'un ni l'autre. Ils ont trouvé un excellent titre, qui fait écho aux « Matrice du siècle » (Annette Becker) et autres « Berceau du 20ème siècle » (Ernst Jünger) que je citais dans mon billet du 11 novembre dernier. 

 

Notre Mère la guerre, c’est du lourd : quatre albums de BD réunis en un volume de 266 pages augmentées d’un cahier de dessins et d’aquarelles, 250 (environ) planches dessinées, un vrai roman sur la vraie guerre. Tardi, son 14-18 à lui, ce n’est pas du roman, si l’on excepte Varlot soldat ou La Véritable histoire du soldat inconnu.

 

Brindavoine lui-même, n’apprend qu’à la fin d’Adieu Brindavoine que « la guerre vient d’éclater en Europe », après avoir été recueilli à bord du Nicolas II, cuirassé de la « flotte de notre tsar bien aimé », qui croisait en mer Noire. Quant à La Fleur au fusil, où il fait le coup de feu bien malgré lui, l’histoire tient sur dix pages.

 

Tout le reste (avant tout le définitif C’était la guerre des tranchées, mais aussi Putain de guerre, mais je n’ai peut-être pas tout lu, après tout, bien que …) tient plus du documentaire fictif à visée politique et du cri que pourrait pousser la colère absolue, que de la narration d’un récit romanesque construit. Je signale que Tardi a refusé la Légion d'Honneur. Je ne sais pas dans quel cerveau de quel hurluberlu est née cette idée farfelue : c'était mal connaître les convictions du bonhomme (sa compagne n'est autre que la chanteuse Dominique Grange, fille d'un médecin lyonnais réputé). Tardi semble ne s’être pas remis d’avoir un jour pris conscience de l’énormité du désastre. Je suis un peu tombé là-dedans aussi.

 

Touchant la guerre de 14-18, il faut mentionner quand même, en passant, pour mémoire, quelques inoubliables nouvelles écrites et dessinées  par le maître Hugo Pratt, et dont le héros s’appelle évidemment Corto Maltese : Sous le Drapeau de l’argent (rencontre et convergence d’intérêts entre des hommes sans drapeau sur un terrain d’opérations dangereux), Concert en O mineur pour harpe et nitroglycérine, Burlesque entre Zuydcoote et Bray-Dunes, Côtes de nuit et roses de Picardie, et puis, plus indirectement, La Lagune des beaux songes et L’Ange à la fenêtre d’orient. Je dirais bien un mot du génial La Bête est morte, publié par Calvo en 1946, mais il s'agit de la deuxième guerre mondiale.

 

La différence, avec Hugo Pratt, c’est que l’Europe en guerre devient une petite partie du théâtre du monde où opère le personnage indestructible qu’il a inventé. Hugo Pratt, ce citoyen du monde, relativise l'Europe. Mais on sait que le cosmopolitisme ne fait pas bon ménage avec la question des origines. Hugo Pratt avait l’esprit cosmopolite (je ne dis pas « multiculturel », mais). Moi, je suis profondément européen en général, essentiellement français en particulier et, en creusant un peu et en soulevant le couvercle de la marmite : culturellement chrétien. Cela donne davantage de raisons d’être hanté par le fantôme.

 

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 06 novembre 2014

LES MATINS DE FRANCE CULTURE

FRANZ KULTUR EXISTE, JE L’AI RENCONTRÉ

 

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C’est vraiment devenu quelque chose de pas grand-chose, « Les Matins de France Culture ». Et moi qui m’y étais réfugié pour fuir certaines dérives de France Inter qui, en dehors de quelques îlots où la survie est encore possible, rendent trop souvent la chaîne inécoutable ! Je ne parle même pas de RTL, Europe 1, RMC et tutti quanti, dont les avenues si fréquentées sont jonchées de tant de légions de cadavres publicitaires que la simple odeur putride de leur écoute est depuis longtemps insoutenable et rédhibitoire.

 

Depuis que les décideurs ont décidé d’ « ouvrir la chaîne » (sans doute jugée trop « élitiste » par quelque instance suprême, alors que moi, qui ne fais pas partie de l’élite, je la trouvais de loin la plus « écoutable ») et d’ « accroître son audience », je ne sais plus où fourrer mon oreille le matin pour trouver quelques échos du monde qui ne soient pas dictés par l’urgence de l’actualité, les derniers rebondissements intervenus dans tous les feuilletons guerriers qu'elle tourne en permanence ou les exigences de l’audimat. Les échos du monde, je les apprécie quand la vague de l'urgence s'est retirée, quand la mousse de l'écume s'est évanouie, quand on peut enfin commencer à essayer de comprendre ce qui s'est passé.

 

J’exagère, je sais. Et ce n'est pas fini, peut-être que c’est devenu une habitude. Mais il fut un temps, peut-être pas si ancien, où l’auditeur avait le temps de prendre son temps : celui d’écouter un(e) invité(e), très souvent remarquable, qui venait pour éclairer, approfondir, développer. Longuement.

 

Maintenant, il faut paraît-il faire comme Jean-Luc Delarue qui animait jadis l’émission télé « Ça se discute », et qui invitait sur son plateau, par exemple, un juif et un nazi. L’esprit de ce genre d’émission est très simple : il faut que ça castagne, que ça cogne, que ça saigne. Sur la base du raisonnement primaire « Les gens veulent du spectacle, on va leur en donner ». Avec (qui sait ?) en ligne de mire l’audimat et les flots de pubs et d’argent qui vont avec. Résultat, mon copain Franz Kultur a l’haleine chargée. J'exagère, je sais. Je sais surtout que c'est pire ailleurs.

 

Du temps de Nicolas Demorand, d’Ali Baddou (déjà parfois agaçants de frénésie) et même, si je me souviens bien, de Marc Voinchet à ses débuts, on était à l’abri de ce canardage en règle, soigneusement programmé. Il n’en est plus de même. Voilà que France Culture se met à courir après l’audimat. Et sa « Matinale » à partir dans tous les sens : l’invité est désormais au nombre minimum de deux, souvent davantage. Tu comprends, coco, il faut proposer à l’auditeur la pluralité des points de vue.  

 

Mais pour le coup je le dis tout net à monsieur Poivre d’Arvor (Olivier), directeur : « Ça se discute, monsieur ! ». Il ne faudrait pas confondre l'étendue et la profondeur. Le pilote de l'émission a choisi l'étendue. Je préfère la profondeur, au motif (arithmétique) que plus c'est étendu, moins c'est profond. C'est comme la confiture culturelle : moins c'est épais, plus il faut l'étaler. Sans compter qu'inviter un « spécialiste » en le flanquant de plusieurs autres pourrait à bon droit être considéré par lui comme une marque de défiance et/ou de manque de considération.

 

Et puis, monsieur, pourquoi faut-il à tout prix « élargir l'audience »  : « Chers auditeurs [Tewfik Hakem l'autre matin, tout fiérot], merci d'être de plus en plus nombreux à nous écouter et à nous podcaster » ? Mais qu'est-ce que ça peut me faire, l'audience, si je trouve mon compte à entendre ce que j'entends ? On dirait que le gars est payé au rendement, ma parole. Intéressé au résultat, peut-être ?

 

En dehors d’exceptions notables (le juge Marc Trévidic un de ces derniers matins, et encore, le secret des enquêtes lui mettait un bœuf sur la langue), l’auditeur est privé de sa sonate du matin, pour se voir forcé d’ingurgiter un pâté sym-caco-phonique orchestré par un descendant de Bruckner ou de Boulez, qui n’a d’équivalent comestible que le kouign-amann breton ou le christmas pudding grand-breton, dont il est bien connu qu'il faut l'attaquer au burin. Il faut en effet se farcir … se farcir quoi, au fait ?

 

Dans le meilleur des cas, ça passe. Prenez lundi 3 novembre, deux fins connaisseurs du Burkina Faso, un militaire-ancien-ambassadeur à « Ouaga » (la capitale, à ne pas confondre avec « Bobo » (Bobodioulasso), dont les habitants, c’est bien connu, sont les « Bobolais ») et un anthropologue très au fait des tenants et des aboutissants de la situation : un régal, parce qu'à la fin, vous avez saisi au moins quelques fils de l’embrouillamini dans lequel la France a fourré les doigts (Blaise Compaoré grand ami de la France !).

 

Prenez maintenant mercredi 5, avec trois intervenants. Très intéressant, l'essentiel a été dit, je crois, sur ce qui bloque au barrage de Sivens. Cette fois, ce sont les deux animateurs qui, sous couleur de jouer les « avocats du diable » et de ne pas laisser les invités dérouler des discours convenus, nous ont « brouillé l'écoute ». Il ne faut pas confondre "empêcher le doctrinaire de ronronner" et "concert de casseroles pendant le quatuor à cordes". Mais, à part le bouton de la radio, l'auditeur est assez démuni de moyens de les faire taire.

 

Car autant le dire : le meilleur des cas est rare. La plupart du temps, ça donne une panouille (qui peut virer à l'exécrable) dont l’animateur essaie de garder les fils conducteurs en main, mais dont l’auditeur sort frustré, exténué, furieux, pantelant. Et surtout perdant. L’animateur tâche tant bien que mal de distribuer la parole, mais je vais vous dire, ce genre de saute-moutons est le plus souvent pénible à suivre. A cause de la segmentation due à la pluralité des invités.

 

Car si vous faites le compte (20 minutes de 7h 40 à 8h + 30 de 8h 15 à 8h 45 = 50 minutes), plus vous avez invité de monde (« plus on est de fous, plus on rit »), moins chacun a le temps de s’exprimer. Il faudrait d’ailleurs minuter le temps de parole de l’animateur. Ah, l’animateur, rien qu’à l’entendre couper la parole sans peur, sans cesse et sans vergogne, qu’est-ce qu’il a besoin de s’exprimer ou de montrer qu’il a bossé son sujet ! On le prendrait parfois pour l'invité principal. Qu'est-ce qu'il cause, Marc Voinchet ! Brice Couturier, son âme damnée, est plus discret, mais il lui arrive à l'occasion d'être envahissant et même étonnamment péremptoire ou imbu de sa vérité.

 

Je suis sûr que si Voinchet s’invitait lui-même, il serait intarissable. Il serait capable de se couper la parole avant d'avoir eu le temps de se répondre. Il devrait s’inspirer du juge Roy Bean (Le Juge, un Lucky Luke, Dupuis, édition souple, p. 44) qui, lors du procès qu’il dirige contre lui-même, se tait après la question, le temps de faire le tour pour se mettre à la place de l’accusé, avant de reprendre, en refaisant le tour, la place du juge : ça repose le lecteur. En plus, ça l'amuse. On appelle ça le « rythme » (vif-lent-vif), qu'il ne faut pas confondre avec le « tempo » (la noire à 120).

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Je sais bien que vous avez l’œil sur votre sacro-saint « conducteur », mais lâchez un peu la pression, monsieur Voinchet : la vraie culture a besoin de sérénité. Cessez de donner à tous les échanges cette inutile et horripilante couleur d’urgence. Ça finit par être du harcèlement sonore. Ou alors faites comme le Parti Socialiste, l'UMP ou le Front National : changez de nom. S'agissant de France Culture, il faudrait juste supprimer le deuxième terme. J'exagère, je sais.

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Prenez exemple, monsieur Voinchet.

Voilà ce que je dis, moi.